Rapport du CESE sur les soins de santé de base

Rapport du CESE sur les soins de santé de base

Auteur : Bachir Znagui

Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a présenté en automne  2013 au chef du gouvernement  son rapport sur les soins de base de santé au Maroc. Celui-ci faisait suite à une  saisine du chef du gouvernement en novembre 2012, pour « évaluer la situation actuelle de l’accès des citoyennes et des citoyens aux prestations de soins de santé de base dans les milieux urbain et rural, en termes de qualité, de coût et de modalités de financement, et élaborer des recommandations opérationnelles permettant d’étendre la couverture médicale dans notre pays dans la perspective d’une couverture universelle ». Document riche en informations du fait qu’il a procédé à un travail analytique de toutes les études et analyses existantes, tant dans le contexte gouvernemental que dans le cadre de la société civile ou des organisations internationales. Ce document a exploré les caractéristiques de l’offre de soins de santé de base,  la question d’accès des citoyens à ces soins, les dépenses  de santé des marocains, leur  financement, et a formulé enfin ses recommandations .

Le rapport a rappelé l’engagement du Maroc à atteindre, dès 2015, les huit Objectifs du millénaire pour le développement, dont trois sont relatifs à la santé : réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, et combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies. Il a également cité le rapport de l’OMS en 2010, qui a été consacré au financement des systèmes de santé et à la couverture universelle. Pour l’OMS le fait de se rapprocher de la couverture universelle n’est pas le privilège des pays à revenu élevé. Ainsi, le Brésil, le Chili, la Chine, le Mexique, le Rwanda et la Thaïlande ont récemment fait des progrès importants vers la couverture médicale universelle.

 

Des structures sous-équipées et mal utilisées

Quelle situation prévaut au Maroc ? Le réseau des établissements SSB est complètement déconnecté du réseau hospitalier et dépend dans chaque province (ou préfecture) du Service de l’infrastructure et des actions ambulatoires provinciales (ou préfectorales), le SIAAP. Ce réseau est constitué de 2 689 établissements de soins de santé de base (ESSB) dont 72% sont implantés en milieu rural (audition du ministre de la Santé). 143 centres de santé sont actuellement fermés, et un certain nombre sont très peu fréquentés.

L’étude de cas menée par l’ONDH montre que les patients enquêtés dans les régions de Figuig, Salé et Azilal consultent presque à part égale les médecins du public et du privé ; elle  relève que «l’insuffisance de qualité des services offerts, d’accessibilité physique et financière sont les causes essentielles de cette sous-utilisation des centres SSB ».

Le Maroc est l’un des 57 pays souffrant d’une pénurie aiguë en professionnels de santé avec un ratio de 1,86 pour 1 000 habitants.

La densité du personnel paramédical formé aux soins liés à l’accouchement est inférieure au seuil de 2,28 pour 1 000 habitants, défini comme seuil critique par l’OMS.

Le rapport constate que, lors des dix prochaines années, 24% des paramédicaux du public partiront à la retraite, ce qui représente environ 7 000 personnes.

Le ratio du nombre de médecins par habitant est de 6,2 médecins pour 10 000 habitants, loin derrière le Liban, la Jordanie, la Tunisie et l’Algérie. Le nombre de médecins exerçant au sein des établissements de soins de santé de base (ESSB) est d’environ 1 pour 10 000.

Paradoxalement, En 2011, le nombre de Marocains travaillant en France dans le domaine de la santé (médecins, chirurgiens, chirurgiens-dentistes, etc.), était estimé à plus de 5 000. Au 1er janvier 2013, la France compte 1 034 médecins marocains nouvellement inscrits au tableau de l’Ordre des médecins.

À la problématique de la pénurie globale des ressources humaines, s’ajoutent de grandes inégalités territoriales en matière d’offre de soins. Le ratio médecins/habitants va de un médecin pour 1 916 habitants à Casablanca, à un médecin pour 5 378 habitants dans la région Souss-Massa-Draa. Ce ratio est de 1 médecin pour 8 111 habitants en milieu urbain et de 1 pour 11 345 en milieu rural.

 

Des déséquilibres en répartition géographique et une image dévalorisée 

De même, la distribution du personnel paramédical, dont l’effectif s’élève à 30 572, employé à 85% par le secteur public, est très inégale entre les régions : de 0,54% dans la région d’El Gharb-Chrarda-Beni Hssen à 1,7% dans la région de Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra.

Alors que le système de santé au Maroc a un énorme besoin de médecins généralistes, « aucun étudiant (ou presque) ne veut être généraliste, plusieurs généralistes souhaiteraient être spécialistes ». Les raisons invoquées sont notamment : la perception négative des soins de santé de base ; la non-reconnaissance de la médecine générale comme discipline spécifique ; la rémunération et le statut peu motivant ; l’absence de « niche » universitaire pour la médecine générale, la médecine de famille et communautaire. L’accès limité aux médicaments et aux plateaux techniques des centres de santé procèdent également de la démotivation des médecins généralistes appelés à y œuvrer.

Le système des ESSB est  ainsi un système de santé centralisé à l’excès, marqué par la corruption qui touche l’ensemble des dispositifs de prise en charge des patients selon des degrés variables : l’admission à 53%, les médicaments à 42%, les certificats à 41%, les consultations à 35% et le sang à 37%. Elle est plus concentrée dans les grandes agglomérations et dans les hôpitaux. À titre d’illustration, pour les médicaments, elle est de 35% dans un centre de santé et de 46% à l’hôpital ; pour les consultations, elle est de 29% dans un centre de santé et de 41% à l’hôpital. Du point de vue des patients, les expériences de corruption vécues mettent en jeu en premier lieu les infirmiers (63%), suivis par les médecins (16%) et les agents de sécurité (8%).

Le système actuel exprime de fortes disparités ; l’accessibilité aux soins de santé de base demeure ainsi très difficile pour près de 24% de la population résidant à plus de 10 km du premier ESSB.

L’accessibilité géographique révèle la pénalisation de l’enclavement en milieu rural ; l’accessibilité physique illustre  une loi non appliquée ; l’accessibilité socioculturelle démontre le handicap de l’analphabétisme. Quant à la qualité des soins, elle est perçue comme insuffisante par les concernés.

Des exemples déroutants sont présentés dans ce document. Ainsi,  pour améliorer la qualité du dépistage et du suivi des grossesses à risques, et lutter contre la mortalité maternelle, le ministère de la Santé a récemment (2010) équipé en mini analyseurs et en échographes plus de 300 centres de santé communaux avec module d’accouchement. Une partie seulement de ces automates fonctionnent à cause de l’absence de mesures adéquates accompagnatrices.

En 2011, 46 927 mariages de mineurs, concernant à 99% des filles, ont été autorisés par des juges, conduisant naturellement au risque de grossesses précoces.

La tuberculose : près de 28 000 nouveaux cas ont été notifiés en 2012, ce qui témoigne d’un relatif échec du programme de lutte contre cette maladie.

Une prévalence accrue de certaines maladies, en particulier l’obésité, l’hypertension artérielle, les maladies cardio-vasculaires, le diabète sucré, certains cancers… À titre d’exemple, entre 2001 et 2011, l’obésité a augmenté de 7,3% par an. 10,3 millions de Marocains adultes, dont 63,1% de femmes, sont en situation d’obésité ou de pré-obésité. Le diabète de type 2, de loin le plus fréquent (90% des diabètes), est une véritable épidémie.. La prévalence de l’hypertension artérielle (33,6%).

Au Maroc, les médicaments et biens médicaux représentent 32% des dépenses totales de santé, avec une dépense annuelle totale par habitant qui s’élève à 524 dirhams. Or le taux de pénétration du médicament générique au Maroc n’est actuellement que de 34% en officine et de 42% toute consommation confondue, ce qui reste faible comparé par exemple au taux de 70% atteint aux Etats-Unis.L’automédication représente plus de 40% de la consommation de médicaments.

 

Les dépenses totales de santé au Maroc représentent à peine 6,2% du PIB

Les dépenses totales de santé au Maroc représentent à peine 6,2% du PIB, soit un niveau inférieur à celui de la moyenne des 194 pays membres de l’OMS qui est de 6,5%. Elles sont aussi deux fois moindres qu’en Tunisie et six fois moindre qu’en Jordanie. De même, la dépense annuelle totale en santé par habitant, pour l’année 2012, était de l’ordre de 153 dollars américains au Maroc, alors qu’elle était de 302 dollars en moyenne dans les pays membres de l’OMS.

En déficit de moyens et de gouvernance, le système SSB se doit de revoir sa stratégie, le financement du RAMED devrait cibler prioritairement les ESSB, de manière à contribuer à leur amélioration et à l’augmentation de leur fréquentation. L’amélioration de la qualité des services des ESSB permettrait également dans ce cadre de drainer les financements de l’AMO. Dans ce tableau assez sombre, le rapport présente des recommandations pertinentes dont ci-dessous quelques exemples : ainsi le CESE appelle à Régionaliser et augmenter les capacités de formation et de recrutement ; réviser en profondeur le statut des médecins du secteur public ; intégrer le financement des ESSB au dispositif de la couverture médicale de base (CMB), afin d’augmenter leurs capacités de développement ; envisager à moyen terme la fusion des organismes gestionnaires de l’AMO dans une caisse unique, et y adjoindre à plus long terme le RAMED…

 

 

Rapport du CESE sur les soins de santé de base 2013

Par : Bachir Znagui