Quels ponts numériques vers l'université?

Quels ponts numériques vers l'université?

Auteur : Mohamed Jaouad El Qasmi

S’il n’est pas question de contester la place croissante des TIC dans les diverses sphères d’activités économiques, il importe en revanche de questionner la place des TIC dans l’enseignement supérieur marocain. Pour cela, nous avons lancé une enquête entre avril et mai 20091 sur les pratiques d’enseignement des TIC dans les établissements d’enseignement supérieur au Maroc. Le présent article ambitionne modestement de mettre un coup de projecteur sur la discipline systèmes d’information (SI), un champ autonome dans les sciences de gestion qui reste jeune et à l’identité encore un peu floue (la confusion entre informatique et SI n’a pas totalement disparu). Pour atteindre cet objectif, nous avons développé un questionnaire autour des pratiques d’enseignement et de recherche dans le champ des SI. Notre population cible est constituée principalement d’enseignants-chercheurs appartenant à vingt institutions d’enseignement supérieur réparties ainsi : 7 Universités ; 6 Grandes Ecoles d’Ingénieurs ; 4 Ecoles de Commerce et 3 Ecoles Nationales Supérieures de Technologies. Sur 100 questionnaires envoyés, nous avons reçu 32 questionnaires exploitables. Le traitement de données a été effectué par le logiciel Sphinx version 4.5.

Pratiques et offres  de formation en SI

La majorité (97 %) des institutions de l’enseignement supérieur de notre échantillon offre des formations en SI. Globalement, les pratiques d’enseignement des SI au Maroc demeurent dans une logique technique où les questions posées sont vues essentiellement comme un problème de génie logiciel. Il s’agit avant tout d’assurer un enseignement orienté en grande partie (75% des cas) vers l’aspect technique (langage de programmation, méthodes de conception et base de données). L’aspect managérial reste très faible (25% des cas). Cette réalité est inadaptée aux évolutions économiques et managériales de ces dernières années. Nous savons aujourd’hui que l’introduction des TIC dans les organisations n’est pas un problème réductible à la seule dimension technique, qu’il s’agisse de l’infrastructure ou de l’architecture. Les difficultés liées à l’expression des besoins des utilisateurs, à l’alignement des TIC aux stratégies métiers, aux performances économiques et sociales expliquent l’émergence d’une approche d’enseignement d’inspiration managériale. Cette évolution ne s’est pas traduite malheureusement dans les cursus proposés dans les institutions d’enseignement supérieur au Maroc.

En regardant de près les cours proposés, nous constatons une offre très large permettant de doter les participants (étudiants et professionnels) d’une double compétence technique et fonctionnelle. L’orientation dominante reste celle de la description et de la modélisation. Les deux principaux cours de base offerts dans les institutions de notre échantillon sont «Introduction aux SI» (84%) et «Modélisation des SI» (81%). Ces cours mettent principalement l’accent sur les définitions du concept SI, les différents types SI et leur rôle et place dans les entreprises, comment les introduire et les modéliser pour améliorer l’efficacité des processus d’affaires et la compétitivité des entreprises. Viennent ensuite des cours plus techniques et axés davantage sur la gestion des projets informatiques (53%), les technologies web (50%), la sécurité des SI (43%). Enfin, d’autres cours plus pointus et à caractère stratégique, qu’on trouve principalement dans des masters professionnels ou des majeurs de master, complètent l’offre globale de notre échantillon : SI décisionnels (28%), gouvernance des SI (21%), urbanisation des SI (15%).

Cours disparates et faible implication DES «PROS»

Cette offre de cours est concentrée fortement en 2ème cycle (75%). Ce positionnement s’explique en partie par la nature des thèmes et problématiques traités qui exigent des pré requis et des connaissances de gestion des entreprises. En dehors du 2ème cycle, la présence des cours SI est assez dispersée dans les autres cycles de formation avec une faible présence dans les MBA (6,3%), MBA exécutif (3,1%) et la formation doctorale (6,3%). Enfin, signalons que seulement un quart (28%) des enseignements en SI est sanctionné par un diplôme. La nouveauté de la discipline dans le cursus universitaire marocain et son manque de visibilité pourraient expliquer ce constat.

Le corps professoral chargé d’assurer ces cours est composé de 60% d’enseignants permanents (titulaires d’un doctorat ou d’un PHD) et 20% titulaires d’un master de recherche ou professionnel. Les autres intervenants sont des enseignants vacataires (10%) et des professionnels (10%). Cette faible présence des professionnels peut paraître surprenante. Mais, quand on s’interroge sur le rôle des professionnels dans la conception et la réalisation des enseignements en SI, on constate la faible coordination entre le milieu universitaire et professionnel. 78% des institutions d’enseignement supérieur ne font pas participer les professionnels dans le processus de construction de leurs programmes axés sur les SI. Toujours dans la même logique, trois quarts (75%) des institutions n’ont pas de partenariat avec des institutions étrangères pour proposer des formations en SI. Paradoxalement, conscients de l’importance de plus en plus importante des SI dans les entreprises, la plupart des institutions marocaines (67%) pensent créer dans le futur de nouveaux programmes d’études en SI.

Explications des lacunes de la recherche en SI

Dans la discipline SI, l’activité d’enseignement est accompagnée souvent d’une activité de recherche. 35% des institutions de notre échantillon disposent de groupes de recherche en SI avec une moyenne de publication par an se situant entre 1 à 5. Autre indicateur intéressant, la moyenne des thèses de doctorats soutenues en SI se situe également entre 1 à 5.

Une étude menée par le DEPTNT (Département de la Poste des Télécommunications et des Nouvelles Technologies) en 2008 a identifié les structures et les axes de recherche en TIC dans les institutions d’enseignement supérieur au Maroc. Ces structures et axes sont également marqués par une prédominance d’une culture technique (exemples d’axes : bibliothèques et contenus numériques; infrastructures de réseaux et de services ; systèmes cognitifs, interaction et robotique, etc.). Bien que la production scientifique marocaine dans ce champ soit assez significative, elle demeure peu visible à l’international. Même au niveau national, l’absence de revues dédiées spécialement aux SI, en dehors de la revue électronique e-TI, participe à la marginalisation de cette discipline et à son isolement professionnel.  

Les enseignants-chercheurs marocains sont conscients des priorités et des défis de la discipline SI, mais ils sont confrontés à des problèmes quotidiens : moyens financiers et matériels insuffisants (coût élevé des abonnements et des licences d’accès aux revues, frais onéreux de participation à des manifestations scientifiques, niveau d’équipement en TIC encore très faible), carcan administratif, manque de compétences professorales, qui les bloquent dans leur volonté de production scientifique. Ces éléments réels sont à l’origine d’un manque de visibilité et réduisent les possibilités de former des collaborations ou des partenariats internationaux.

Quelques signes positifs laissent présager une amélioration de cette situation. La structuration de la recherche et la reconnaissance des efforts et des laboratoires par les instances publiques est en marche depuis deux ans. L’engagement d’une politique de développement qualitative et quantitative de l’offre de formation en TIC est potentiellement un gage de développement dans un futur proche.

De ces propos, dont l’objectif est d’ouvrir un débat, émergent quelques pistes et actions à mettre en place pour l’amélioration des pratiques d’enseignement et de recherche en SI. L’atteinte des standards internationaux passera par :

- la refonte radicale de la politique de formation et de recherche actuelle ;

- la valorisation des travaux de recherches des enseignants-chercheurs à travers un soutien pragmatique du gouvernement aux politiques de recherche au sein des universités ;

- le soutien des activités de recherche et de mobilité au niveau international ; 

- la création de ponts de collaboration entre les universités et les entreprises et la sensibilisation des décideurs de l’importance des SI dans les formations proposées ;

- recrutement des spécialistes en SI et investissement dans des équipements TIC.

 

Par : Mohamed Jaouad El Qasmi