Pour financer le revenu de base

Pour financer le revenu de base

Auteur : Collectif coordonné par Jean-ÉricHyafil et Thibault Laurentjoye

Volet technique de la réflexion sur le revenu de base, ce second tome présente une réflexion en profondeur sur le rôle de l’impôt dans les grandes orientations de société.

Après un premier tome consacré au plaidoyer pour la mise en œuvre d’un revenu de base (Revenu de base : un outil pour construire le XXIème siècle, Éd. Yves Michel), le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), association créée en 2013 et mouvement citoyen composé de différentes sensibilités, se penche sur les modalités de financement de ce dispositif qu’il considère comme « un droit inaliénable et inconditionnel ». Avant de détailler les diverses pistes de financement, ses auteurs, sous la direction du chercheur en économie Jean-ÉricHyafil et de Thibault Laurentjoye, spécialiste d’analyse de données et d’algorithmes appliqués au marché du travail, répondent à une objection préalable selon laquelle le revenu de base coûterait trop cher. « Si l’on considère uniquement le budget brut de la mesure – c’est-à-dire le montant annuel du revenu de base multiplié par le nombre de personnes qui le reçoivent –, le revenu de base augmente fortement la dépense publique. » Pour le MFRB, ce raisonnement est insuffisant, car « le budget brut d’une réforme n’a aucun sens économique ; seuls comptent les effets redistributifs et les effets incitatifs (c’est-à-dire les effets sur le comportement des individus). » Les auteurs reviennent également sur le concept d’« impôt négatif » proposé par Milton Friedman et formalisé par James Tobin, qu’ils comparent en termes d’effets redistributifs au revenu de base, et estiment important de « séparer le prélèvement de l’impôt du versement du revenu de base » afin d’empêcher « que le revenu de base prenne la forme d’un crédit d’impôt ». Raisonnant dans le contexte français, le MFRB préfère ne pas avancer de montant mais affirme que le revenu de base ne doit pas être inférieur aux prestations qu’il remplace. Cependant, ils rappellent que cette réflexion est nourrie par deux grandes tendances. La première, d’inspiration néolibérale, a pour objectif de libéraliser le marché du travail, donc « de supprimer un maximum de mesures de protection et de réglementation » et propose dans cet optique un impôt négatif, qui fonctionne sur le même principe que le revenu de base, afin de « permettre aux salaires de s’établir à un supposé salaire d’équilibre du marché, si tant est qu’un tel salaire d’équilibre existe. Dans l’esprit de Milton Friedman, cet impôt négatif ne devait pas être trop élevé, pour éviter de permettre aux travailleurs de refuser un emploi. » La seconde, au contraire, théorisée par André Gorz (Misères du présent, richesse du possible, 1997) est pensée comme un outil d’émancipation et comme une « politique générative » : « En donnant aux individus et aux groupes des moyens accrus de se prendre en charge, il les autorise à développer des formes alternatives de production, porteuses de plus de sens ». La préférence des auteurs va très nettement à cette dernière.

Taxe sur les robots

Dans ce livre concis, appuyé sur des démonstrations très techniquesqu’éclairent des fiches synthétiques comme « Les employeurs peuvent-ils profiter du revenu de base pour baisser les salaires ? », « Faut-il individualiser l’impôt sur le revenu ou maintenir le quotient  conjugal ? », etc., les auteurs font l’inventaire des principales sources de financement du revenu de base.

La première, fondée sur l’impôt sur le revenu, est « un moyen de rationaliser le système redistributif actuel » en combinant l’impôt sur le revenu avec le revenu de base. Cette piste est la plus envisageable à court terme, mais ses effets distributifs ne deviennent significatifs qu’avec un revenu de base plus élevé.

Le MFRB se penche ensuite sur les sources de financement « qui pourraient s’ajouter ou se substituer à l’impôt sur le revenu ». D’abord par le biais de prélèvements sur la consommation et par la fiscalité écologique, comme le préconisent les documentaristes Daniel Häni et Enno Schmidt (Le revenu de base : une impulsion culturelle, 2008). Cette piste s’appuie sur la volonté de pallier les destructions d’emplois par l’automatisation, et d’affecter dans un premier temps la TVA au « développement des secteurs intenses en travail » et non automatisables : cela permettrait de « basculer le financement d’une partie de la protection sociale des cotisations vers les taxes sur la consommation » et de réduire le coût du travail sans diminuer le pouvoir d’achat des travailleurs.Fiscaliser le commerce en lignepermettrait de lutter contre la pratique des grandes entreprises de l’internet (Facebook, PayPal, iTunes, Netflix…) payant la TVA dans des pays comme le Luxembourg, qui pratiquent des taux de TVA faibles, et non dans les pays où leurs services sont consommés. Il s’agit aussi de remplacer la taxe carbone par un chèque vert distribué à tous les ménages de façon inconditionnelle et individualisée.

Une lutte contre la compétition fiscale et contre les leviers d’optimisation fiscale devrait également permettre de capter la rente associée à l’automatisation en mettant fin aux fuites de l’impôt sur les sociétés, abondamment pratiquées par les multinationales du Web. Les auteurs retiennent la proposition de Paul Jorion de financer le revenu de base par une cotisation des robots : « Que tout individu remplacé par une machine ou un robot reçoive à vie une rente perçue sur la richesse créée par cette machine ou ce robot. »

Après ces mesures, appuyées sur des prélèvements directs ou indirects sur les revenus des travailleurs, le MFRB passe en revue d’autres formes d’imposition sur le patrimoine. Dans le sillage de Thomas Paine qui « formula en 1795 la première proposition de revenu de base pour répondre aux inégalités dans la répartition des terres », et plus récemment de Thomas Piketty, ils mènent une réflexion sur les moyens de corriger les inégalités de patrimoine : taxe sur la rente foncière pour la redistribuer, revenu de base lié à une rente pétrolière comme en Alaska et en Iran, imposition sur la propriété immobilière proportionnellement au prix de marché du logement, etc.

Enfin, les auteurs se penchent sur les allocations que le revenu de base viendrait remplacer afin de simplifier le système de redistribution. Au final, ce livre invite à repenser l’impôt, la monnaie, la dette, etc., et propose une réflexion passionnante sur les choix de justice sociale à faire dans une période d’accroissement des inégalités et de profondes modifications des modes de production.

 

Par Kenza Sefrioui

 

Revenu de base, comment le financer ? Panorama des modalités de financement

Collectif coordonné par Jean-ÉricHyafil et Thibault Laurentjoye

Éditions Yves Michel, 192 p., 200 DH