Comment élaborer une stratégie ?

Comment élaborer une stratégie ?

Auteur : Les processus stratégiques, comment les organisations élaborent leurs stratégies Coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada

Le collectif coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada invite à considérer les stratégies d’entreprise comme des processus complexes et dynamiques.

Accord vs Airbnb dans le monde du hospitality business, création du groupe Safran à partir de la fusion entre Snecma et Sagem, joint-ventures, évolutions technologiques, etc. Autant de configurations dans lesquelles des sociétés sont amenées à élaborer des réponses stratégiques. Le collectif coordonné par Thomas Durand, spécialiste de management stratégique au Conservatoire nationale des arts et métiers (CNAM) et SakuraShimada, spécialiste de sciences de gestion au CNAM, envisage la question d’un point de vue pratique. « Il est classique de distinguer deux approches de la stratégie d’entreprise, celle relative aux contenus de la stratégie et celle consacrée aux processus stratégiques », explique Thomas Durand. « Les contenus de la stratégie disent la stratégie adoptée. C’est le royaume de l’analyse stratégique, avec sa batterie de concepts, de cadres d’analyse et d’outils : la segmentation stratégique, les facteurs clés de succès, les barrières à l’entrée, les stratégies génériques, les stratégies de portefeuille, les manœuvres stratégiques… » Les processus stratégiques se situent en amont, au niveau structurel : comment une organisation génère sa stratégie, qu’est-ce qu’elle identifie comme stratégique, comment elle fait remonter les signaux, décide et apprend de son action. Les dix-huit contributeurs de cet ouvrage prennent leurs distances par rapport à une représentation linéaire de la séquence du processus stratégique (un avant, un pendant et un après la décision). Ils mettent en avant les « multiples boucles de rétroaction et les itérations » et rappellent que « la théorie de la décision a depuis longtemps montré qu’il n’y a pas, à proprement parler, un moment de la prise de décision, mais qu’il s’agit plutôt d’un processus qui peut s’étaler dans le temps ». Un processus dans le processus, en quelque sorte, doublé de la complexité des écosystèmes où se prend la décision.

En resituant la stratégie dans sa boucle de construction, ils font apparaître sa dimension de « cadre de cohérence, avec la définition d’un cadre pour le futur », malgré les difficultés, mais aussi son caractère dynamique, lié à l’action, à l’acquisition de connaissances et de compétences nouvelles, à la construction de « représentations stratégiques » qui font à leur tour évoluer le cadre de cohérence. Ils situent également leur réflexion dans « un cadre conceptuel structuré autour de deux pôles en tension : l’inertie endogène et la proactivité endogène des organisations », et s’appuient sur les théories de la compétence organisationnelle (réception des données, information, connaissance et expertise), de la structuration (travaux de Giddens sur la dialectique signification/domination/légitimation), et de l’autopoïèse (travaux de Maturana et Varela sur l’organisme vivant capable de s’autorégénérer de l’intérieur et sur l’auto-organisation). En combinant ces outils d’analyse, ils font émerger plusieurs notions clef : compétences organisationnelles, répertoires, représentations stratégiques, conversations stratégiques, contraintes, zone de confort, inertie endogène, capacité de prises d’initiatives, etproactivité endogène.

Approche pluridisciplinaire

Le livre s’organise en trois parties. La première traite de l’inertie endogène. Philippe Very, professeur à l’EDHEC, souligne les enjeux post-fusion entre entreprises, avec le choc des répertoires organisationnels, les réflexes construits par l’expérience, et plaide pour une organisation apprenante. Hadrien Coutant, chercheur associé au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, insiste sur l’aspect sociologique et idéologique de l’intégration d’un groupe, à partir de l’exemple de la fusion Snecma-Sagem pour créer Safran, en mobilisant une culture d’ingénieurs. Thomas Durand s’intéresse aux questions soulevées par les projets de joint-ventures au niveau du business model, du business plan, et de la place des subjectivités et des intérêts. Le journaliste Olivier Cachin aborde le problème des évolutions technologiques à travers la révolution digitale dans le domaine de la musique, passé de la cassette au streaming.Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM, s’intéresse, face à la problématique du terrorisme internationale, à la mue des services de renseignement. Quant à Frédéric Garcias, spécialiste de stratégie, il rappelle, exemple du nucléaire à l’appui, que les organisations oublient et que les répertoires peuvent se détériorer.

La seconde partie est consacrée à la proactivité endogène. Georges Blanc, d’HEC, souligne l’agilité acquise par une organisation qui se reconfigure en permanence et où l’initiative peut naître d’un alignement stratégique entre structure, environnement, systèmes de management, stratégie et culture. Thibaud Brière, spécialiste des organisationspost-managériales, s’intéresse à un groupe décentralisé, fonctionnant avec un réseau auto-organisé et solidaire, considéré comme une équipe d’intrapreneurs, pour penser le concept de discernement (éthique, managérial et stratégique). Olivier Basso, du CNAM, se penche sur le rôle du dirigeant qui propose un cadre et un cap et permet l’expression des possibles. Lucie Puech, spécialiste de gouvernance et de contrôle organisationnel, s’intéresse à la manière dont l’initiative stratégique desintrapreneursse construit en fonction de la ressource temps. Brice Dattée, spécialiste de management stratégique, évoque la mobilisation de partenaires extérieurs par des intrapreneurs pour convaincre leur propre management en créant un écosystème d’innovation, avec une vision simultanée. Raphaël Maucuer, de l’ESSCA, étudie le partenariat entre multinationale et ONG, et la réinvention du business model qui s’ensuit. Fabien Gargam, spécialiste de management, se penche sur le dévoiement de la proactivité endogène, à travers le cas du dopage, pour montrer comment on peut chercher des avantages concurrentiels par tous les moyens, y compris déloyaux ou criminels.

La dernière partie propose des mises en perspectives. Hervé Laroche, de l’ESCP, interroge les pathologies de la décision stratégique, soit en les faisant dévier, soit en les paralysant, soit au contraire par la démesure ou le suivisme. Christelle Théron, spécialiste de stratégie, rappelle l’importance des managers de proximité, attentifs aux ressources et capables de routiniser la stratégie. SakyraShimada, elle, analyse la transmission intergénérationnelle comme moyen de stabiliser et de renouveler les répertoires. Enfin Benjamin Taupin, du CNAM, rappelle, à l’aune descritical management studies, les ressorts de la domination, l’asymétrie de pouvoir et la hiérarchie dans la façon de normer les processus, et pointe autant les dangers de l’hypercentralisation, que ceux du data drivenmanagement et du « management par le fun ».

Un ouvrage aux articles cours et très précis, avec une abondante bibliographie, qui passionnera un public averti.

 

Par Kenza Sefrioui

Les processus stratégiques, comment les organisations élaborent leurs stratégies

Coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada

Éditions EMS, Regards sur la pratique, 208 p., 280 DH