Éloge du chef d’orchestre

Éloge du chef d’orchestre

Auteur : François Malhaire et Hubert Dunant

 

François Malhaire et Hubert Dunant rappellent l’importance d’un leadership qui n’ait pas en ligne de mire la seule finance, mais aussi l’humain.

 

Responsabilité et conscience. Ce sont les deux maîtres mots de cet ouvrage. Si l’efficacité constitue son objectif premier, le leadership doit être avant tout humain et éthique. Tel est le propos de François Malhaire et d’Hubert Dunant. Le premier, lauréat de HEC, est issu du monde de l’entreprise et spécialiste de conduite du changement, le second, Saint-Cyrien, a été officier de carrière. Dans ce livre écrit à quatre mains, ils partagent leurs expériences issues de domaines très différents et transmettent leurs réflexions sur la question de la direction des hommes et surtout de l’éthique du chef.  « L’association du monde entrepreneurial et du monde militaire est riche pour réfléchir aux buts et aux difficultés que rencontrent des meneurs d’hommes, tournés vers une obligation de résultat, avec des moyens contraints et un impératif de préservation du capital humain. » Au cœur de leur propos, l’idée qu’il est dangereux de séparer les performances économiques de l’épanouissement humain. Tous deux prennent nettement position contre « les scènes de capitalisme parfois outrancier dont nous avons souvent récemment été les témoins ». « Le leadership dans les entreprises d’Europe ou d’Amérique du Nord s’est dégradé depuis la montée en puissance de néoconservateurs américains, dans les années 1980, d’un libéralisme exacerbé, d’une spéculation parfois extravagante ». C’est donc la notion de justice qu’il s’agit de mettre en avant. Les auteurs plaident pour un « leadership de service réciproque » dans lequel l’acceptation du pouvoir n’équivaut pas avec une aliénation de la liberté individuelle mais constitue « une collaboration loyale et librement consentie [qui] n’exclut en rien le droit, voire le devoir, d’exprimer un désaccord sur ce qui semble incompatible avec le bien de la communauté ».

 

Justice et humanisme

 

La première partie consiste en un tableau très général des leaders qui ont ouvert de nouveaux horizons au monde. Gutenberg et Bill Gates sont les deux noms les plus cités. « Johannes Gutenberg a ouvert le monde de la lecture à des millions de personnes, Bill Gates ouvre celui de l’écriture efficace à des milliards d’hommes ». Leaders religieux, philosophes, scientifiques, écrivains, artistes, musiciens, personnalités politiques, explorateurs, conquérants, libérateurs… tous se sont distingués par leur humanisme et l’influence qu’ils ont eue sur leur entourage. Il s’agit de personnes qui ont cultivé « plus une culture de l’être que de l’avoir », qui ont transformé la vie de dizaines voire de millions d’être humains et dans lesquelles les auteurs voient « une vraie aristocratie » – même si les femmes devraient encore, disent-ils, y bénéficier d’une discrimination positive. Parmi les caractéristiques de ces leaders, « de fortes intelligences techniques, orientées création ou innovation, commerce, finance, capacités de choix ou d’inspiration des personnes ». L’accès au capital, très inégal, est secondaire. Et surtout, il faut une « haute valeur éthique » : le leader est à l’opposé du trader, « plus prédateurs que créateurs de richesses ». Les auteurs sont d’ailleurs favorables à la taxation des transactions financières suggérée par l’économiste James Tobin et déplorent le « at-will employment », qui contourne le droit du travail aux États-Unis, comme marque d’un système « qui fait peu de cas de l’individu ». Le leader doit aussi être créatif, efficace, rester humain, donner l’exemple, porter la charge… Les auteurs déclinent plusieurs styles de leadership (coercitif, autoritaire, affectif, créatif, démocratique, meneur, coach), les contextes de la vie de l’entreprise dans lesquels chacun est le plus utile, l’impact sur le climat de travail, les compétences émotionnelles sous-jacentes. Il faut savoir établir le respect, déléguer, maintenir la confiance malgré la peur du danger et des incertitudes, être loyal, communiquer efficacement à l’attention des différentes parties prenantes (actionnaires, collaborateurs, clients, fournisseurs… La seconde partie analyse les critères d’efficacité : sur le plan  de la stratégie (facteur moral, prise en compte de la concurrence, manœuvre), de la performance sans être obnubilé par des indicateurs chiffrés, du marketing, de la relation client, de l’information, de la qualité etc. Les deux dernières parties, très brèves, évoquent, l’une, la façon d’atteindre ces buts, entre sagesse et recherche d’un équilibre personnel et professionnel, en conciliant des intérêts multiples, et l’autre, la mise en œuvre d’un leadership créatif, efficace et humain, fondé sur la recherche de consensus, du sens, et l’exemplarité.

« 38 % des personnes se perçoivent comme mal dirigées. Le leadership du XXIe siècle n’est plus celui du XXe siècle », concluent les auteurs. L’ouvrage, qui s’adresse à des « autodidactes chefs d’entreprises » et à de jeunes cadres, se veut « réaliste, constructif, mais sans panacée ». Cependant, on aurait apprécié qu’ils développent certains points de façon plus concrète. François Malhaire et Hubert Dunant insistent en effet plus sur les grandes pensées religieuses et philosophiques pour penser le leadership que sur les études consacrées au leadership d’entreprise. Ils effleurent rapidement les théories de Maslow sur les motivations humaines, de Maxwell sur le leadership 360°, de Goleman sur des styles de leadership d’entreprise, ou encore de Bill Gates sur le « capitalisme créatif ». Si le propos est évidemment d’un grand intérêt, on regrettera des généralités sur « la très discutable culture du conflit et de la grève des Latins » opposée à la soi-disant « culture du consensus des Anglo-Saxons ». Et surtout, le plan déséquilibré et le texte, saucissonné en brefs paragraphes par des intertitres qui finissent par casser la démonstration, laissent aux lecteurs une impression de survol superficiel.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Vers un leadership créatif, efficace et humain

François Malhaire et Hubert Dunant

Gereso édition, 334 p., 25 €