Le renouveau de la discipline économique est-il arrivé au Maroc ? [1]

Le caractère fluctuant des appellations utilisées pour désigner l’activité théorique des économistes : science économique (au singulier), sciences économiques (au pluriel), économie politique, reflète en réalité la confusion qui entoure encore aujourd’hui le savoir économique en termes de finalités, de contenu et de fonction institutionnelle. Au Maroc, l’économie politique a été historiquement et traditionnellement perçue à l’université, comme la sociologie ou la philosophie, un lieu de la pensée critique et de l’opposition au pouvoir politique. Avec la montée des options libérales, les changements progressifs ont créé, à l’échelle de l’enseignement supérieur, une situation ambigüe créant des filières plus ancrées aux questions du management, des métiers de commerce et des finances.

D’ailleurs, après avoir rempli les rangs des fonctionnaires des administrations publiques et des secteurs économiques pour des missions qui ne relevaient pas souvent du savoir acquis lors de la formation, cette filière a été saturée ; aujourd’hui, les nouvelles générations d’économistes ne font que se recycler pour faire des métiers du secteur libéral et autres. Au Maroc, les ministères gérant les secteurs économiques ne font pas appel spécifiquement aux profils économistes, même dans leurs organigrammes.

Dans d’autres pays, et surtout dans la tradition anglo-saxonne, les économistes sont impliqués dans le fonctionnement de tous les rouages des politiques économiques ; mais l’évolution de la filière économique dans les universités donne aujourd’hui lieu à un constat dénoncé par les économistes eux-mêmes, ceux-ci ont publié en France, en mars dernier, la déclaration suivante : « La situation actuelle ne révèle pas seulement une crise de l’économie, mais également une crise intellectuelle profonde, celle de la pensée économique ». Ils expliquent dans ce document que « la production de la science s’inscrit toujours dans un cadre institutionnel. En science économique, ce cadre a failli, il faut le changer ». La demande est rejointe par une initiative étudiante lancée dans plusieurs pays dont notamment le Canada et la France.

« L’économie mondiale n’est pas seule à être en crise. L’enseignement de l’économie l’est également. » Ainsi commence la déclaration dite Initiative Étudiante Internationale (IEIEP) faite le mois de mai dernier par vingt-deux associations et collectifs étudiants de dix-huit pays. Que demandent-ils ? « Le monde réel doit revenir dans les salles de classe, de même que le débat et le pluralisme des théories et des méthodes », « une analyse économique approfondie devra aussi s’approprier les méthodes des autres sciences sociales », d’où, d’après eux, « l’enseignement de l’économie doit inclure une perspective pluridisciplinaire et permettre aux étudiants de collaborer avec les autres sciences humaines et sociales ».

Ainsi, au Maroc aujourd’hui, nous sommes interpellés pour opérer deux réhabilitations à la fois : la première doit intégrer la matière économique au niveau de l’élaboration et la gestion des politiques économiques de l’État. La deuxième serait de faire revenir l’économie au réel, les cursus doivent admettre la diversité et la pluralité des approches avec des spécialisations plus fines et appropriées (économie et genre, économie environnementale…) mais aussi par une ouverture sur la pluridisciplinarité permettant à la fois des approches quantitatives et qualitatives.