Nord et sud face à l'economie verte

Nord et sud face à l'economie verte

L’ économie verte est née d’un contexte international marqué par la flambée des cours des matières premières, en lien avec la raréfaction des ressources naturelles et l’épuisement des énergies fossiles, le tout sur fonds de pression sociale. Comme le rappelle le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), cette économie repose sur une nouvelle orientation des investissements publics et privés, qui s’attachent désormais à réduire les émissions de carbone et la pollution, renforcent l’utilisation rationnelle des ressources ainsi que l’efficacité énergétique, tout en empêchant la perte de biodiversité et de services environnementaux. Au final, l’économie verte génère une croissance des revenus et de l’emploi sans pour autant délaisser un point essentiel à ses yeux, celui de l’inclusion sociale.

Qu’on se le dise, le véritable challenge est désormais de favoriser le passage d’une économie brune, dominée par les subventions sur les énergies fossiles - qui avoisinent les 400 milliards de dollars par an -, à une économie sobre en carbone ! Car la pollution coûte cher. Au Maroc, le coût annuel de la dégradation de l’environnement est estimé à treize milliards de dirhams, soit 3,7% du PIB du Royaume.

Au Bénin, c’est l’intoxication par le plomb, ou saturnisme, causée par les émissions des motos taxis et des moyens de transport polluants, qui coûte chaque année vingt milliards de francs CFA (plus de 30 millions d’euros) au pays, soit 1,2% de son PIB. En réduisant leur impact environnemental, les nations réaliseront des économies budgétaires. Pour ce faire, elles pourront s’appuyer sur la mise en place d’un contexte législatif favorable à l’intérieur de leurs frontières et adhérer aux accords internationaux en la matière, deux démarches volontaires indispensables.

Des opportunités pour tous

Selon une étude de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, le marché des technologies vertes et des biens environnementaux était estimé à 1 400 milliards de dollars en 2008 , soit l’équivalent du PIB de l’ensemble du continent africain pour la même année. Ce sont principalement les pays développés et leurs entreprises qui raflent la mise sur ce marché, l’Afrique représentant à peine 1%.

A bien y regarder, les opportunités de green business sont pourtant nombreuses et accessibles ; elles touchent tous les secteurs d’activités et sont susceptibles de générer des gains à la fois environnementaux et économiques pour tous.

Dans le domaine agricole, les initiatives  «vertes» consistent par exemple à avoir recours à la fertigation (contraction de fertilisation et irrigation), qui est l’utilisation des fertilisants solubles, pour alimenter les plantes. Grâce au goutte à goutte, on parvient à réduire à la fois la quantité d’eau et celle d’engrais utilisées sur la parcelle.

Dans le secteur des déchets (ménagers et industriels), la valorisation de la matière peut être de nature organique ou énergétique. La fermentation des déchets agricoles et animaux produit en effet du gaz utilisable pour la combustion ou encore du compost, un engrais biologique. Son exploitation permet la création de richesses et d’éco-entreprises qui pourraient générer un chiffre d’affaires estimé à quatre milliards d’euros en Afrique . 

Pour l’eau et l’assainissement, il est possible non seulement de réduire les coûts en limitant les pertes dans le réseau mais également d’avoir recours aux biotechnologies pour le traitement des pollutions. Des plantes permettent par exemple le traitement des eaux usées.

Dans le domaine des transports, le développement de modes de déplacement alternatifs comme le ferroviaire, le maritime et les transports en commun ont un avantage comparatif intéressant sur le moyen long terme par rapport au transport routier dans une perspective de flambée des cours du pétrole.

La gestion durable des forêts et l’écotourisme sont aussi des activités créatrices d’emplois verts et de business. Enfin, l’émergence des Technologies de l’Information et de la Communication, avec des répercussions sur presque tous les secteurs économiques, est un gisement important pour l’économie immatérielle (m-bankig, cyberagriculture, e-administration, télémédecine, etc.)

Perspectives africaines

Alors que dans les pays industrialisés du Nord, il est question d’«écologiser» l’économie déjà existante, les pays du Sud abordent l’économie verte sous un nouvel angle ; pour eux, le véritable enjeu est la prise en compte du développement durable dans les projets d’infrastructures. En effet, la croissance économique et l’urbanisation de ces pays accélèrent la consommation des énergies fossiles et des matières premières, avec de lourdes conséquences pour l’environnement... et les budgets nationaux, au regard de la flambée des cours des matières premières.

Pour tirer profit de ses richesses naturelles tout en préservant au mieux l’environnement, l’Afrique a tout intérêt à fabriquer elle-même les produits et services qu’elle consomme. De même, elle doit apprendre à transformer ses matières premières en produits finis à haute valeur ajoutée. A l’instar de l’Afrique, l’industrialisation «propre» est ainsi devenue quasiment indispensable pour tous les pays émergents et en développement. Ces derniers ont aujourd’hui l’opportunité de mettre à niveau leur tissu industriel et de le développer. Ils bénéficient pour cela de l’expérience préalable des pays du Nord et peuvent accéder directement aux meilleures technologies aujourd’hui disponibles.

Ainsi, l’industrialisation de l’Afrique s’inspirera de nouvelles approches. Parmi elles, l’écologie industrielle entend créer une synergie entre entreprises rassemblées sur une même zone d’activité, grâce à un fonctionnement global où les déchets des uns fournissent la matière première des autres. L’écoconception, quant à elle, s’attache à limiter la quantité de matières premières et la pollution générée pour la fabrication d’un produit, et ce dès sa phase de conception. Autre approche, l’économie de la fonctionnalité est le passage d’une logique de produit à celle de service, dans laquelle on ne s’intéresse plus uniquement à l’objet matériel mais plutôt à la fonction que ce dernier remplit. Son aboutissement permet de générer des cycles où les déchets, y compris les produits en fin de vie, sont réexploités à l’infini pour donner naissance à de nouveaux produits.

Pour accélérer la mutation des pays émergents vers une économie de sobriété carbone, les organismes internationaux comme le PNUE ou l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel ont pris plusieurs initiatives. Ainsi, les Centres Nationaux de Production Propre sont chargés d’encourager l’écoconception des produits pour alléger leur poids carbone. Dans un autre registre, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre - qui n’ont pas de frontière - a débouché sur l’adoption du Mécanisme de Développement Propre (MDP) intégré au protocole de Kyoto. Le système repose sur un marché de la finance carbone qui permet aux pays du Sud de financer leur croissance verte grâce aux investissements d’entreprises du Nord. Ce marché a ainsi représenté 120,9 milliards de dollars en 2010. Malgré l’existence d’un fonds carbone marocain et d’un fonds africain pour les biocarburants et les énergies renouvelables, les pays africains sont encore très peu présents sur ce business, aujourd’hui majoritairement dominé par la Chine, l’Inde et le Brésil, mais pourraient rapidement l’investir.

Pour inscrire sa croissance dans le modèle d’économie verte, le continent africain peut aussi compter sur ses territoires encore inexploités. Le marché de l’agriculture biologique en est un parfait exemple. En 2009, il pesait 54,9 milliards de dollars pour 37,5 millions d’hectares de terres cultivées et révélait un déficit de l’offre face à une forte demande. Avec à peine un million d’hectares de terres dédiées à l’agriculture biologique, il est vrai que l’Afrique pèse encore bien peu sur ce marché. Mais son potentiel est énorme : le continent dispose à lui seul de 60% des terres arables non cultivées au niveau mondial et pourrait devenir un acteur majeur de l’agriculture biologique dans les années à venir. C’est également le cas pour l’économie de la biodiversité ou encore la finance carbone. Avec ses deux cents millions d’hectares, le bassin du Congo, deuxième poumon écologique de la planète après l’Amazonie, pourrait bientôt se transformer en poumon économique pour l’Afrique centrale.

Les perspectives sont palpables, mais il faut le clamer haut et fort : le rôle des États reste primordial pour le développement de l’économie verte ! En d’autres termes, le «green business» est une activité régie par loi. Plus les décideurs adapteront le contexte législatif à l’économie durable plus vite se développeront les green start-up et les éco-entreprises. Une fiscalité adaptée permettra de décarboner l’économie en taxant les activités fortement émettrices de CO2 tout en favorisant celles qui sont moins polluantes. Le principal défi pour les autorités africaines sera de supprimer les subventions aux énergies fossiles qui empêchent la mutation vers une économie décarbonée. D’autres voies restent à investir : développer les marchés du carbone, encourager la création des éco-entreprises, déployer des programmes de formation dans les universités ou encore sensibiliser la population à la consommation durable. Enfin, il paraît urgent de développer des portefeuilles projets susceptibles d’attirer les éco-investisseurs sur le continent africain

 

1 Banque mondiale (2003) in Royaume du Maroc : Evaluation du coût de la dégradation de l’environnement

2 Green Jobs : Towards Sustainable Work in a Low-Carbon World, Worldwatch Institute (Michael Renner) and Cornell Labour Institute (Sean Sweeney, Jill Kubit) pour le PNUE, 2008

3 Estimations du ministère du Commerce et de l’Industrie marocain