Le statut avancé, un levier des réformes ?

Le statut avancé, un levier des réformes ?

Introduction

Dans un document conjoint adopté en octobre 2008, lors de la septième session du Conseil d’association UE/Maroc, l’Union européenne et le Maroc ont annoncé leur décision de renforcer substantiellement leurs relations de partenariat dans la perspective d’un statut avancé demandé par le Maroc. Cette décision a entériné les séries de propositions présentées et discutées à l’occasion des réunions régulièrement tenues par le groupe de travail ad hoc constitué lors de la session précédente et qui visaient à donner corps au «Statut avancé» en allant dans le sens de la concrétisation de cette ambition.

Une question légitime peut être posée initialement. Le Maroc a adopté et mis en œuvre un plan d’action dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV). Pourquoi plaider donc en faveur d’un Statut avancé ? Le cadre actuel ne suffit-il plus à l’ambition du Maroc ? Le cheminement partenarial Maroc-UE s'est développé de manière dynamique. Il s’est caractérisé par l’adaptation continuelle des relations, la capacité à rénover, de manière évolutive, le cadre contractuel qui les régit.  Il a cherché à appréhender les évolutions de l'Union européenne, à travers ses élargissements successifs et à rester à l'écoute des évolutions géostratégiques qui ont caractérisé la région.

La proposition marocaine part de la volonté politique de consolider les acquis, d’ouvrir des perspectives. Un retour sur le bilan de l’Accord d’association, surtout sur son volet commercial, qui prédomine encore dans les relations, milite pour un réajustement des relations de partenariat. Le projet de Statut avancé  réaffirme le double ancrage du Maroc dans la Politique de voisinage renforcée et dans la politique euro-méditerranéenne revitalisée par le Plan quinquennal de Barcelone II, les deux dynamiques se renforçant  dans une plus grande synergie d’action. Son référentiel, ce sont les expériences les mieux réussies de l’Espace économique européen et des phases de la préadhésion des pays candidats. Ses principes fondateurs : tendre vers une convergence réelle, institutionnelle avec l’Union européenne ; agir dans la coresponsabilité et la codécision pour un partenariat multidimensionnel.

Les deux partenaires ont donc décidé de revisiter le cadre contractuel qui les lie, d’anticiper sur la trajectoire future du partenariat et de lui faire ouvrir un nouveau dessein davantage ambitieux. Une telle ambition puise sa légitimité politique et sa pertinence stratégique dans la recherche d’une convergence entre le projet de société que le Maroc est en train de construire et les ambitions de l'Union européenne de promouvoir, à l'échelle de son voisinage, les valeurs d'ouverture, de progrès et de prospérité. Cette convergence devrait aider aujourd'hui à se projeter vers un 'partenariat privilégié' qui soit en mesure de contribuer utilement à l'émergence d'un ordre euro-méditerranéen rénové.

Le Statut avancé ne procède point d'une tentation de singularisation ou d'un quelconque réflexe d'exclusivité. Il se veut plutôt une contribution, modeste et lucide à la fois, du Maroc à la nécessaire inflexion que devra connaitre la gouvernance de l'espace euro-méditerranéen.  Car, la nouvelle géo-économie telle qu'elle est en train de se développer, les enjeux sécuritaires qui émergent, l'imbrication croissante des intérêts stratégiques interpellent les partenaires pour concevoir, au sein de l'espace euro-méditerranéen, une approche rénovée du concept de voisinage, de manière à maitriser les impératifs de la mondialisation, à en capitaliser les atouts et à affronter les défis et menaces à la sécurité collective.

La lecture du processus de négociation de l’adhésion de la Turquie peut être d’une grande utilité quant à l’impact des relations de voisinage de l’Union européenne sur les réformes institutionnelles de ses partenaires du sud et de l’est de la Méditerranée. Sur le plan politique, la candidature turque a longtemps souffert du manquement aux règles démocratiques exigées par les critères de Copenhague. Il n’en demeure pas moins que le traitement de cette candidature qui a été déposée au lendemain du premier élargissement et à la veille de la dislocation du bloc soviétique et qui est à l’origine du second  élargissement vers l’Est, traduit une volonté de l’UE d’appuyer ou d’accompagner les réformes dans les pays partenaires. Avec cette réserve que les négociations avec la Turquie se déroulent dans un esprit qui perçoit l’adhésion comme un instrument pour consolider la démocratie turque et accélérer son développement économique.

1. Le Statut avancé : une feuille de route pour les réformes ?

Les engagements réciproques qui figurent dans ce document conjoint tracent une feuille de route pour le développement progressif et soutenu des relations bilatérales dans de nombreux domaines. Les actions et propositions retenues couvrent les dimensions politique, économique, financière et humaine, ainsi que la participation du Maroc à certains programmes et agences communautaires.   Les partenaires considèrent que le Statut avancé devra se traduire par un raffermissement de la coopération politique entre le Maroc et l'Union européenne, en vue d'une plus grande prise en compte de leurs priorités stratégiques respectives, par une intégration progressive du Maroc au Marché intérieur de l'UE avec, notamment, un soutien financier approprié et en phase avec l'ampleur et le caractère ambitieux de cette nouvelle évolution. Le Statut avancé a également pour vocation une plus grande implication des entités territoriales, des acteurs économiques et des partenaires sociaux des deux parties dans l'objectif de promouvoir les synergies entre ces intervenants et de concrétiser l'appropriation commune de ce partenariat.

Le Statut avancé  permet de donner une nouvelle impulsion à la coopération de l’UE avec le Maroc et, demain, avec les autres pays impliqués dans la PEV, notamment en relevant le dialogue politique et en renforçant les mécanismes de décision conjoints et en augmentant la visibilité du partenariat. D'un point de vue concret,  les actions retenues tracent  une « feuille de route » évolutive pour le développement des relations bilatérales UE-Maroc. On peut s’interroger sur la valeur ajoutée du Statut avancé par rapport aux engagements pris dans le cadre de la PEV et des Plans d’action établis à cet effet.

Le dialogue politique et stratégique : une dimension de « plus »

Le Projet de Statut avancé apparaît dans un premier temps comme un appui par l’UE aux réformes politiques réalisées par le Maroc ces dernières années, pour faire progresser la démocratisation et la modernisation de la société avec, notamment, le programme de modernisation du système judiciaire qui vise à instaurer davantage d’indépendance et d’impartialité. Le programme de modernisation de l’administration, lui, a été lancé pour renforcer les capacités de l’administration et la rendre plus transparente et plus accessible pour les citoyens, par la décentralisation et la dévolution accrue de pouvoirs aux collectivités locales.  Des progrès importants ont été accomplis grâce à la mise en place d’un mécanisme législatif de protection et de promotion des droits de l’homme, notamment par l’adoption d’une loi réactualisée contre le recours à la torture, en conformité avec les critères des Nations unies. Les réserves relatives à un certain nombre de conventions sur les droits de l’homme ont été levées. Des progrès ont été réalisés dans le domaine de la liberté de la presse. La réforme du code de la famille en 2004 a permis de grandes avancées concernant l’élaboration d’un cadre juridique garantissant l’égalité entre les hommes et les femmes. Le Maroc a aussi renforcé sa politique sociale à travers les objectifs poursuivis par l’Initiative nationale pour le développement humain, qui accorde la priorité aux investissements dans les zones les moins développées du pays et vise à fournir les services de base qui font cruellement défaut tels que l’eau potable et l’enseignement. 

Toutefois, si des avancées concrètes ont été réalisées en matière de démocratie et des droits de l’homme, les réformes restent encore à consolider ou à entreprendre.  Des entraves à la liberté subsistent, les dysfonctionnements du système judiciaire risquent de vider de leurs effets les réformes législatives entamées. La réforme de la justice, annoncée comme prioritaire, est ainsi un défi essentiel qu'il est urgent de relever pour asseoir durablement l'État de droit, assurer une protection efficace des citoyens et améliorer le climat des affaires.

C’est la dimension politique des engagements prévus par les deux parties et consignés dans le document en référence qui apportent un « plus » aux initiatives et programmes déjà lancés. Dans le document conjoint, les deux parties attachent au Dialogue politique et stratégique du Partenariat une importance primordiale.  Aussi, le Maroc et l’UE envisagent une série de dispositions de concertation : il en est ainsi de la possibilité d'organiser un Sommet Maroc-UE ; de tenir des réunions à New York entre le ministre des Affaires étrangères du Maroc et le Haut Représentant de l'UE ; d’organiser des réunions informelles entre le ministre des Affaires étrangères du Maroc et ses homologues européens ; de prévoir une participation des ministres des départements sectoriels du Royaume du Maroc avec leurs homologues européens ; d’envisager une  participation de l'ambassadeur et/ou haut(s) fonctionnaire(s) du Royaume du Maroc aux réunions des comités et groupes du Conseil de l'Union européenne.

Toutefois, cette série de propositions a fait l’objet tout simplement d’un accord de principe pour tenir des réunions sur une base ad hoc, en marge des réunions régulières du Conseil des ministres de l'UE et des enceintes multilatérales du système des Nations Unies et d'autres organisations internationales. L’objectif d'assurer une meilleure coordination des positions des deux partenaires est retenu, mais les modalités de la  concertation restent à définir  d’un commun accord et au cas par cas.

Un appel a été adressé aux institutions parlementaires pour la création d'une commission mixte Parlement marocain -Parlement européen. Ces institutions seront formellement saisies pour l’obtention pour le Parlement marocain du statut d'observateur à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Un autre engagement a été prévu dans les dispositifs annoncés, en vue d’assurer une cadence régulière aux réunions du Dialogue politique renforcé.  Des réunions thématiques entre le Maroc et l'UE (Secrétariat général du Conseil/Commission) seront programmées mais les champs de ces réunions thématiques n’ont pas été arrêtés. Ils concernent vraisemblablement la question de la démocratie, des droits de l’homme, de la sécurité collective. 

Par ailleurs, la coopération sur les questions régionales et internationales ainsi que les menaces communes sont un axe majeur des relations entre les deux partenaires, dans la perspective de promouvoir la paix et la stabilité et de contribuer à la prévention et à la résolution des conflits. Il en est ainsi du conflit du Sahara occidental qui demeure un obstacle majeur sur la voie d’une plus grande stabilité régionale, de la coopération et de la prospérité. Il en est de même de la gestion commune de la pression migratoire sur les frontières méridionales de l’Europe où il est convenu que l’immigration clandestine doit être traitée dans le contexte plus large d’un dialogue et d’une coopération transfrontalière avec tous les pays d’Afrique du Nord, car c’est une question qui relève d’une responsabilité commune et nécessite une approche régionale. 

Le principe d'un accord-cadre pour la participation du Maroc aux opérations de gestion des crises (civiles et militaires) avec l'UE a été retenu dans la perspective de renforcer la coopération du dialogue Maroc-UE dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).   Le Maroc apporterait son soutien aux déclarations PESD au cas par cas.  La coopération au sein du programme régional Euromed sur la prévention, la préparation et la réponse aux désastres naturels seront poursuivies. Il en est de même du développement du partenariat pour la paix et la sécurité en Afrique : notamment à travers une contribution du Maroc à la Facilité de la paix pour l'Afrique.

Sur le volet de la coopération sécuritaire,  la feuille de route propose d’approfondir la coopération par la conclusion d’accords (entre le Maroc et le CEPOL); entre le Maroc et l'Office européen de police (Europol). L’UE et le Maroc ont choisi de renforcer leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme international. Le Plan d’action avait amorcé la coopération dans ce domaine par des dispositions antiterroristes, approuvées dans le contexte de la PEV, et qui dessinent le cadre d’un dialogue structuré et stratégique sur la lutte contre le terrorisme. Les deux parties ont retenu huit axes de coopération  portant essentiellement sur la formation et l’assistance technique. Toutefois,  le Maroc considère que le terrorisme ne doit pas détourner l’attention des véritables enjeux et défis de la région à prendre en compte pour l’instauration d’une paix durable, le développement socioéconomique, la consolidation démocratique et la promotion du rapprochement culturel et humain.  Dans le domaine de la coopération judiciaire et de la promotion des droits de l'homme, le document conjoint prévoit un agenda d'actualisation et d'harmonisation du cadre conventionnel, la création d’instituts spécifiques et le développement des mécanismes de contrôle des frontières.

2. La Turquie, un modèle ?

Les relations entre l’Union et la Turquie remontent aux premiers jours de la Communauté ; la Turquie est le deuxième pays, juste après la Grèce, à avoir signé en 1963 un Accord d’association prévoyant, selon son article 28, l’examen de l’adhésion turque aux alentours de 1995, avec l’achèvement de l’objectif d’union douanière. La demande d’adhésion turque a été déposée en avril 1987. Jusqu’à la crise euro-turque qui a suivi le sommet de Luxembourg (décembre 1997) où la Turquie s’est vu refuser le statut de candidat, l’UE s’est efforcée de figer l’intégration de la Turquie au stade de l’union douanière. Le statut de candidat sera finalement reconnu deux années plus tard au sommet d’Helsinki de décembre 1999.

Les négociations d'adhésion avec la Turquie ont été ouvertes le 3 octobre 2005, à la suite de l'adoption, non sans difficultés, par les États membres, d'un « cadre de négociation » destiné à organiser le déroulement du processus de négociation.  Ce cadre a fixé les principes et les procédures à suivre pour les négociations d'adhésion.

En ce qui concerne les principes, il a prévu que l'objectif commun des négociations est l'adhésionmais précise néanmoins que ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance. Il a invité la Turquie à poursuivre son processus de réformes de manière à remplir pleinement les critères de Copenhague ; à apporter son soutien au règlement global du problème chypriote ; et à respecter les obligations qui relèvent de l’union douanière entre la Turquie et l'Union européenne, notamment à l'égard de la République de Chypre. Il a introduit, par ailleurs, la possibilité pour l'Union européenne de suspendre les négociations d'adhésion « en cas de violation grave et persistante par la Turquie des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'État de droit sur lesquels l'Union est fondée ».

Sur la question des procédures, le cadre a prévu que les négociations s'articulent autour de trente-cinq chapitres de négociation qui couvrent les domaines dans lesquels la Turquie doit entreprendre des réformes de manière à remplir les critères de Copenhague et à reprendre l'acquis communautaire.

2.1 Des négociations d'adhésion lentes et compliquées

Les négociations d'adhésion avec la Turquie se sont déroulées en deux temps.

La phase préparatoire, désignée par le terme de « criblage », vise, pour chacun des chapitres de négociation, à décrire et à expliquer à la Turquie l'ensemble de l'acquis et à identifier les problèmes que posera la reprise de celui-ci. En fonction du nombre et de l'importance des problèmes rencontrés, les États membres peuvent, soit autoriser l'ouverture des négociations sur le chapitre concerné, soit fixer des critères que la Turquie devra impérativement respecter avant que le chapitre ne puisse être ouvert à la négociation. Ces critères, souvent appelés « critères de référence », concernent des questions essentielles pour permettre ensuite la reprise de l'acquis. A titre d'exemple, l'Union européenne a ainsi exigé de la Turquie qu'elle garantisse le plein respect des droits syndicaux (droit de réunion, droit de grève...), dans le secteur public comme dans le secteur privé, avant que le chapitre relatif à la politique sociale et à l'emploi ne puisse être ouvert.

Jusqu'à présent, les États membres réunis au sein du Conseil ont statué sur vingt-deux rapports de criblage sur les trente-deux disponibles. Il reste donc encore dix rapports de criblage dont l'examen au sein du Conseil n'est pas achevé. Ils concernent la libre circulation des travailleurs, la société de l'information et les médias, la pêche, les transports, l'énergie, la politique régionale, les droits fondamentaux, la justice, la liberté et la sécurité, les relations extérieures et, enfin, les dispositions budgétaires et financières.

Une fois cette première phase achevée pour chacun des chapitres de négociation, les négociations d'adhésion proprement dites ont débuté dans le cadre de conférences intergouvernementales bilatérales réunissant tous les États membres, d'une part, et la Turquie, d'autre part. Les négociations portent sur les chapitres ouverts à la suite de l'examen des rapports de criblage. Elles sont clôturées dès lors que la Turquie remplit les critères de référence définis pour la fermeture du chapitre : il s'agit, en règle générale, de l'adoption de dispositions législatives spécifiques ou de la mise en place d'instances administratives ou judiciaires qui s'inscrivent dans le cadre de la reprise de l'acquis. Il convient de noter néanmoins que les chapitres clos peuvent être rouverts dans le cas où la Turquie ne satisferait plus aux conditions exigées 1.

Force est de constater que les négociations d'adhésion entre la Turquie et l'Union européenne progressent sur un rythme relativement lent, en comparaison de celui qu'ont connu d'autres pays candidats. Les facteurs qui peuvent expliquer la relative lenteur des négociations avec la Turquie tiennent à la fois à l'Union européenne et à la Turquie.

Des négociations freinées du fait de l'Union européenne : L'Union européenne ou certains États membres, par leurs décisions, ont contribué à freiner le rythme des négociations d'adhésion avec la Turquie. Ce sont au total douze des trente-cinq chapitres de négociation dont l'ouverture se trouve aujourd'hui bloquée du fait de l'Union européenne. Ces éléments imputables à l'Union européenne ne sauraient néanmoins expliquer à eux seuls la relative lenteur des négociations d'adhésion. Les difficultés d'ordre intérieur qu'a connues la Turquie au cours de l'année passée ont freiné le rythme des réformes dans le pays, faisant mécaniquement obstacle aux avancées des discussions d'adhésion.

Les négociations ont été aussi ralenties par les problèmes d'ordre intérieur que connaît la Turquie. Ce pays a traversé une grave crise politique au printemps 2007 à l'occasion de l'élection présidentielle 2 . Plus tard, l'AKP n'a pas voulu mettre à profit sa très large victoire électorale pour entreprendre une partie des réformes demandées par l'Union européenne. Elle a, dans un premier temps, consacré ses efforts aux réformes attendues par sa base électorale

2.2 Un bilan des réformes en demi-teinte

Dans son document de stratégie pour l'élargissement consacré aux défis pour la période 2007-2008 (COM (2007) 663), adopté le 6 novembre 2007, la Commission européenne reconnaît que la Turquie a réalisé des progrès considérables depuis 1999. Elle observe toutefois que le processus de réformes a eu tendance à marquer le pas depuis 2005 et appelle donc la Turquie à en accélérer le rythme, notamment dans le domaine politique.

Quelques réformes importantes ont été adoptées par la Turquie ces dernières années dans le domaine politique, de manière à satisfaire aux critères politiques de Copenhague. Pour autant, la Turquie doit encore fournir des efforts afin de garantir un fonctionnement pleinement démocratique de ses institutions. De manière générale, des améliorations restent donc attendues dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse de la lutte contre la corruption, du contrôle civil des forces armées, de la réforme du système judiciaire ou bien encore de la défense des droits économiques, sociaux et culturels.

La Commission européenne relève ainsi, dans son rapport de suivi de la Turquie que l'armée continue d'exercer une forte influence politique et que les militaires ont de plus en plus tendance à réagir publiquement dans les dossiers qui échappent à leurs compétences, notamment le programme des réformesL'influence qu'exerce l'armée dans la vie politique du pays, même si elle vise à faire respecter la Constitution et la laïcité, est en effet susceptible de soulever des difficultés d'un point de vue démocratique

D’un autre côté, le système judiciaire gagne peu à peu en efficacité, notamment grâce à l'augmentation du budget alloué à la justice et à l'introduction de diverses dispositions dans le code pénal et dans le code de procédure pénale, telle la désignation obligatoire d'un avocat de la défense, qui ont permis d'améliorer les droits de la défense. En matière de lutte contre la corruption, quelques progrès ont également pu être observés, même s'il demeure encore indispensable d'améliorer le cadre juridique et surtout le dispositif institutionnel de lutte contre la corruption.

En fin de compte, les difficultés que soulève désormais le fonctionnement de la justice sont moins liées à l'absence de dispositions législatives qu'à des problèmes de formation et de culture. Mais il ne semble pas que des progrès réels soient intervenus en ce domaine au cours des deux dernières années.

En outre, c'est surtout sur l'indépendance et l'impartialité de la justice que les inquiétudes se portent. En ce qui concerne l'indépendance de l'appareil judiciaire, il convient de regretter les interventions récurrentes du pouvoir exécutif dans la sphère judiciaire. Ainsi, le refus du ministre de la justice ou de son sous-secrétaire d'État de participer aux réunions du Haut Conseil des juges et procureurs aura-t-il retardé l'an dernier l'élection de juges aux postes vacants de la Cour de cassation et du Conseil d'État

Quoi qu'il en soit, la poursuite des négociations ne préjuge en rien de l'issue du processus, comme le dispose clairement le « cadre de négociations », qui prévoit que l'issue en reste « ouverte ».  Les négociations d'adhésion constituent en effet une opportunité pour la Turquie de consolider ses réformes : la marche vers l'Europe constitue un levier extraordinaire pour la transformation et la modernisation du pays.  Même si la Turquie ne devait pas, en fin de compte, entrer dans l'Union, elle serait l'un de ses voisins immédiats et il est donc fondamental qu'elle soit un pays stable, tant sur le plan politique que sur le plan économique. A cet égard, il ne faut pas non plus négliger le rôle de modèle qu'elle peut jouer auprès de certains pays du Proche ou du Moyen-Orient.

Conclusion :

Le Statut avancé est donc une approche dynamique, mais qui fixe des repères dans la progressivité des relations entre les deux partenaires.  Il n’a pas comme point de départ ni comme promesse une demande d’adhésion, mais il n’exclut pas non plus une adhésion éventuelle à long terme. Entre un non actuel et un oui d’un futur encore assez éloigné, il reste un vaste spectre d’action permettant de créer une dynamique vertueuse, un scénario win-win, dans lequel chacun des partenaires serait gagnant. Quel est l’intérêt d’une telle proposition ? Que peuvent y gagner les deux partenaires ? La réponse est simple : stabilité, sécurité et prospérité partagée. La région est devenue un foyer de crises. L’Europe ne peut résoudre seule les sources de déstabilisation : immigration clandestine,  trafic de drogue, blanchiment d’argent, terrorisme. La pierre angulaire de cette perspective est l’ancrage d’une alliance stratégique, condition de succès des deux autres volets.

Le Maroc réaffirme sa position d’acteur des relations euro-méditerranéennes et de médiateur dans les relations d’un voisinage élargi avec l’Afrique Sub-saharienne. S’il est d’abord l’expression d’une volonté politique, le Statut avancé est aussi une dimension économique financière  d’égale ambition. Ce qui signifie faciliter l’accès des biens et services au marché européen, négocier au mieux le transfert de l’acquis communautaire, harmoniser les politiques communes (concurrence, fiscalité, monnaie), intégrer le Maroc dans les programmes, réseaux et agences communautaires. Enfin la dimension culturelle, sociale et humaine est aussi fortement réaffirmée pour faire en sorte que la frontière ne fasse pas obstacle aux échanges culturels et humains.

Le Statut avancé est-il un modèle unique ou serait-il plutôt une approche qui favorise une différenciation de plus en plus poussée entre les partenaires de la PEV, qui menace sa cohérence ? La cohérence de la PEV ne serait-elle pas davantage menacée par le développement d'une différenciation de plus en plus individualisée entre les partenaires ? En quelque sorte, chaque partenaire aspire à la détermination d'un statut ad hoc qui lui est spécifique et entend renforcer ses relations bilatérales avec l'Union européenne, au détriment de la coopération régionale à laquelle est censée aboutir la politique de voisinage.

La multiplication de ces statuts ad hoc risque néanmoins de poser quelques problèmes. L’UE doit-elle les encourager et créer une sorte de politique d'accords à la carte ? Dans ce cas, la PEV a-t-elle encore une raison d'être ? Peut-elle encore apporter une valeur ajoutée substantielle ? Le risque d'encourager la différenciation et l'individualisation des statuts consiste à diluer la solidarité qui peut exister entre l'ensemble des pays voisins, et à compromettre définitivement l'objectif de coopération régionale. Or, cette dernière peut être un outil de développement et d'autonomie précieux pour le voisinage de l'Union européenne, tout comme elle peut contribuer à résoudre les conflits gelés. La négociation de statuts ad hoc tend aussi à rendre les pays voisins plus dépendants de l'Union européenne, ce qui ne correspond pas forcément à l'objectif de développement visé par la politique de voisinage.

Au total, si elle est un signe de réussite dans la mesure où elle traduit l'adaptation à la situation de chaque partenaire, la différenciation est aussi porteuse de risques d'éclatement pour la PEV qui, au fur et à mesure de sa mise en œuvre, risque de ressembler de plus en plus à une mosaïque d'accords et d'instruments, reflétant un voisinage à plusieurs vitesses. Tout ceci posera inévitablement, à terme, un problème d'arbitrage entre différenciation et cohérence de cette PEV.

 

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1 A ce jour, huit chapitres ont été ouverts à la négociation entre la Turquie et l'Union européenne : les chapitres « science et recherche » ; « statistiques », « politique d'entreprise et politique industrielle » et « contrôle financier » ; « réseaux transeuropéens » et  « protection des consommateurs et de la santé » « droit des sociétés « droit de la propriété intellectuelle ».

2 L'élection du successeur du président Ahmet Necdet Sezer, représentant de l'establishment et ancien président de la Cour constitutionnelle, a donné lieu à un véritable affrontement entre les membres de l'AKP et les héritiers du kémalisme.