Big data et intelligence collaborative

Big data et intelligence collaborative

Aujourd’hui, les enjeux pour les systèmes d’informations (SI) dépassent une simple lecture de l’environnement dans lequel l’entreprise taille sa place. La compétitivité de cette dernière repose largement sur la qualité des flux d’informations, la rapidité de leur circulation et l’optimisation de leur diffusion, de façon efficace en interne comme en externe. Or, la surabondance des informations, qui a donné naissance au Big Data, représente actuellement plus un frein qu’une aide à la prise de décision. La disponibilité de l’information en grande quantité et sous diverses formes inverse le problème pour le décideur et le rend perplexe aussi bien devant la variété et l’abondance des sources d’information que face à la complexité du traitement, de l’analyse et du partage de l’information décisionnelle dans un dispositif d’intelligence économique (IE) (Salam, 2013 ; Robert, 2007 ; Kislin et Bouaka, 2002). Il s’agit désormais de prendre en considération un ensemble de variables qui interviennent implicitement ou explicitement dans la performance du pilotage des flux informationnels, notamment le problème du partage de l’information, le problème du travail collaboratif, la sécurisation des données, l’adhésion des ressources humaines, et enfin le changement structurel interne des organisations.

D’OÙ VIENT LE PHÉNOMÈNE DU BIG DATA ?

La notion de Big Data est une combinaison entre le progrès technologique, les innovations, les différents usages des informations et les transformations sociales. Parallèlement, les évolutions culturelles vis-à-vis de la collecte et du partage d’informations, les nouvelles pratiques et possibilités de dématérialisation, notamment grâce à l’expansion du e-commerce, les réseaux sociaux, le téléphone portable ou encore la géo-localisation sont d’autres facteurs clés qui ont favorisé l’accélération de la richesse et du volume des data.

QU’EST-CE QUE LE BIG DATA ?

Big Data, grosses données, méga-données, données volumineuses, etc. sont des expressions qui ne sont pas nouvelles. Le terme d’« information explosion » est apparu pour la première fois dans l’Oxford English Dictionary en 1941. Ce qui a changé c’est que, en ce temps-là, s’il était délicat et compliqué (pour ne pas dire impossible) de gérer ces lots d’informations, aujourd’hui, et grâce à une nouvelle génération d’algorithmes, il est devenu possible d’exploiter cette inondation de données, en temps réel ou quasi-réel. En général, le concept Big Data peut être défini par la croissance des données disponibles, en quantité (Volume), diversité (Variété) et Vitesse d’accès (les 3V définis par Gartner (2011)), ou encore Valeur (les 3V+1) :

  •  Volume : un volume exceptionnel de données.
  •  Vitesse : une vitesse de traitement en temps quasi-réel ou réel.
  •  Variété : des données de formes variées : vidéo, audio, texte, image, lien, tweet, like…
  •  Valeur : pertinence et fiabilité des données.

Par ailleurs, McNulty (2014) ajoute trois autres « V », à savoir : Variabilité, Véracité et Visualisation. Le premier « V » se réfère aux données dont la signification est en constante évolution. Le deuxième indique le résultat de l’usage des données – bien qu’il y ait un large consensus sur la valeur potentielle du Big Data, les données sont pratiquement sans valeur si elles ne sont pas exactes. Le dernier « V », un des défis du Big Data, se trouve dans la façon de présenter les résultats de traitement des données2
 qui rend les conclusions plus claires.

QUELS NOUVEAUX DÉFIS ET ENJEUX POUR LES ENTREPRISES ?

La pratique de l’IE face au Big Data

À l’ère du Big Data, la pratique de l’IE devrait revoir ses techniques. En effet, la collecte et l’analyse des données ne suffisent pas. Ces données doivent être présentées de manière adéquate pour que les décisions prises puissent en découler logiquement et avoir un impact sur la productivité, la rentabilité et l’efficacité de toute l’organisation. En réalité, on remarque que les entreprises ne sont pas conscientes des nouveaux défis du Big Data auxquels elles sont exposées3. Le stockage et l’exploitation de ces nouveaux contenus sont devenus une problématique clé pour les entreprises, et représentent des opérations de forte valeur ajoutée tout au long de leur cycle de vie (Figure 1).

Dans ce cadre, quand on parle de Big Data, on parle de toute une démarche managériale qui comprend un processus décisionnel, un actif immatériel et des méthodes de création de valeur. Derrière l’exploitation des grandes quantités de données variées, il y a tout un système complexe, composé d’un ensemble d’intervenants (veilleurs ou « chasseurs d’informations », analystes, décideurs), liés par des relations socioculturelles. Dans ce cadre, de par sa nature polymorphe, l’information, le Big Data, actif immatériel, pose nécessairement la question de la sécurité des systèmes d’information4. Or, la sécurité des informations représente une des facettes qui composent l’IE, en parallèle avec la veille, la prise de décision et l’influence. En effet, en se basant sur la figure 1, l’IE repose sur une succession d’étapes interdépendantes les unes des autres, allant de l’identification des besoins en information, la collecte d’information à travers la détermination des différentes sources fiables, le tri et l’analyse des informations collectées, passant ensuite aux opérations de stockage et de diffusion, pour enfin pouvoir prendre la bonne décision et agir au bon moment, en acquérant des attitudes défensives vis-à-vis de l’environnement (influence). Comment renforcer aujourd’hui cette suite logique d’opérations, qui se répète chaque instant au sein des entreprises, face à l’inondation des données ?

Concilier entre le partage et la sécurité des données

En répondant à cette question, d’autres enjeux apparaissent. Le premier est relatif au paradoxe de l’intelligence collaborative à l’ère du Big Data. En effet, en passant par les différentes phases susmentionnées, l’information acquiert de la valeur, et devient par conséquent plus stratégique pour l’entreprise. Ainsi, cette dernière se transforme en un pouvoir et aura besoin de protection. En parallèle à l’émergence de ce besoin de protection, l’enchaînement des opérations de collecte, de traitement et de diffusion des informations implique et oblige à avoir une bonne communication entre les divers acteurs intervenants (Simon, 1983). Dans cette situation, nous nous trouvons devant deux contradictions : une légitimité de partage d’informations face à une obligation de protection de ces mêmes informations (Salam, 2015). De ce fait, la question qui se pose est : faut-il protéger ou partager les informations ? Derrière cette question, il y a tout un débat. Nous sommes conscients que le travail collaboratif dans une organisation quelconque rime avec le partage d’un certain nombre de connaissances (Salam, 2014). Cette réalité trouve aujourd’hui des limites dans la mesure où l’évolution technologique des SI et la surabondance du Big Data ont créé de nouvelles attitudes vis-à-vis de l’usage et du partage d’informations, en déviant vers une rétention des données qui va à l’encontre des intérêts de l’entreprise, d’où l’importance des ressources humaines.

Les ressources humaines face au Big Data 

Le deuxième enjeu concerne les ressources humaines. Face à l’émergence du Big Data et avec la transformation numérique, gérer l’Homme représente un défi majeur pour les entreprises. En effet, thésauriser l’information pour soi et l’utiliser dans son intérêt propre, sous couvert de « confidentialité », va généralement à l’encontre de l’intérêt collectif de l’entreprise. Pour changer ce comportement, il est urgent aujourd’hui d’encourager une culture de partage de connaissances qui implique l’ensemble du personnel, notamment à travers des formations de sensibilisation, dans la mesure où il faut savoir communiquer tout en sécurisant son patrimoine informationnel. Sans oublier de promouvoir la psychologie du travail, et de débattre autour des conditions de travail dans les entreprises. Autrement dit, il s’agit de développer une intelligence collaborative qui va permettre aux différents collaborateurs de générer des richesses, partager les échecs, et surtout développer une attitude d’influence collective.

Big Data et compétitivité des entreprises

Réussir à trouver la bonne manière pour gérer leurs flux massifs du Big Data permettrait aux entreprises de mieux maîtriser leur marché, de conquérir de nouveaux prospects ou de cerner les attentes de leurs clients actuels. Le Big Data est un créateur de richesse, lorsqu’il s’agit des organisations qui s’investissent dans des activités de recherche, de traitement, de contrôle et d’archivage de données. Plus encore, la maîtrise du management du Big Data rend un grand service aux acteurs publics, et propose de nouveaux services aux citoyens (exemple : http://data.gov.ma/fr). Par ailleurs, les enjeux du Big Data ne s’arrêtent plus au simple défi de traitement et d’analyse des données. Les outils d’exploitation permettent de prévoir des comportements ou des événements, et même de réagir en moment opportun : c’est le rôle des learning machines qui représentent des ensembles d’algorithmes capables de déclencher une action (par exemple de détecter, à partir des informations enregistrées par les capteurs et de l’historique des données, à quel moment une machine va tomber en panne afin de prévenir le service après-vente). Finalement, la compétitivité des entreprises repose sur un autre nouvel enjeu, à savoir la restructuration interne des entreprises. En effet, la surabondance des Big Data imposent à ces dernières de revoir leur hiérarchie, d’introduire de nouveaux profils dans leur organigramme, et d’instaurer un nouvel état d’esprit entre les collaborateurs par rapport au management du Big Data en général.

Notes

1.     http://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/0204202778246-comment-le-big-data-transforme-le-monde-1099411.php#

2.     Valeur de l’information : donnée, information, connaissance.

3.     Première étude au Maroc sur : L’état des lieux de la pratique de l’intelligence économique dans les équipementiers automobiles : résultats et perspectives. Revue Internationale d’Intelligence Économique. Série Publications Numériques. http://www.revue-r2ie.com/, (2013, septembre).

4.     Garance Mathias et Charlène Gabillat. « L’information, capital immatériel de l’entreprise. Comment concilier sécurité, enjeux économiques et libertés fondamentales ? ». Avocat à la Cour. 9 rue Notre Dame de Lorette – 75009 PARIS. Cabinet d’Avocats MATHIAS.

 

Références

·         Bourret, C. et al., (2008, avril). Capital immatériel et information professionnelle. L’émergence d’un concept nouveau : l’information durable. Documentaliste-Sciences de l’Information, vol. 45, p. 4-12. DOI : 10.3917/docsi.454.0004

·         Cohen, C. (2007, juillet). Intelligence et performance : mesurer l’efficacité de l’intelligence économique et stratégique et son impact sur la performance de l’organisation. Revue Vie et Sciences Économiques. Intelligence économique et performance des entreprises. Numéro spécial, pp. 28-29.

·         Salam, G. (2013, septembre). Première étude au Maroc sur : L’état des lieux de la pratique de l’intelligence économique dans les équipementiers automobiles : résultats et perspectives, Revue Internationale d’Intelligence Économique, Série Publications Numériques, http://www.revue-r2ie.com/

·         Salam, G. (2013). Qui dit intelligence économique dit partage d’information. Marché et organisations, (2), pp. 41-66.

·         Salam, G. (2013). État des lieux de la pratique de l’Intelligence Économique dans les équipementiers automobiles du Maroc : vers une Supply Chain intelligente. Thèse de Doctorat en économie et Gestion. FSJES-Mohammedia.

  • Salam, G. (2016). Les nouveaux enjeux du Big Data pour les entreprises : promouvoir une intelligence collaborative. International Journal of Economics & Strategic Management of Business Process (ESMB), vol. 6, pp. 1-12.