Pourquoi pas les Subsahariens ?

Il faut s’y rendre discrètement : traverser un terrain vague rempli d’ordures plutôt que de longer le poste de police. A Sidi Khadeir, les migrants nigérians qui vivent retranchés dans les garages de ce quartier à la périphérie de Casablanca ne souhaitent pas faire parler d’eux. Sunday, 36 ans, est de ceuxlà. «A Oujda, m’explique cet ancien ouvrier agricole, les Subsahariens sont devenus trop nombreux, la population ne les accepte plus. Cela entraîne beaucoup de rafles. Casa, c’est grand, alors à condition d’être discret, tu risques moins de te faire repérer».

J’ai rencontré Sunday en juin dernier grâce à un ami angolais, acteur associatif en lien avec les clandestins subsahariens ; une recommandation nécessaire pour que les Nigérians, plutôt méfiants, vous ouvrent leur porte. Sunday vit au rez-de-chaussée d’une maison, dans un local protégé de l’extérieur par un grand rideau de fer. Dans ce garage de 12 m2 où deux matelas posés à même le sol recouvrent les trois quarts de la pièce, Sunday se planque avec six autres «frères», depuis maintenant plus de deux ans.

Tous sont igbos, une ethnie chrétienne du sud du Nigéria et rêvaient d’Europe en prenant la route. C’était début 2006, Bruxelles et Rabat venaient de s’entendre pour verrouiller les frontières, réduisant drastiquement la fréquence des embarcations clandestines pour l’Europe. L’étape marocaine s’est alors transformée en cul-de-sac et depuis, échoués dans cette pièce exiguë, tous les six ne savent plus trop ce qu’ils attendent, un signal du passeur pour rejoindre le Nord du Maroc et embarquer vers l’Europe ou un geste des autorités marocaines leur reconnaissant un droit d’asile, (statut encore inexistant dans la législation marocaine), qui leur permettrait de travailler mais surtout les mettrait à l’abri d’une reconduite à la frontière algérienne.

Allongé sur le lit, John, 1m 90, de loin le plus baraqué des colocataires, m’avoue être sur le point de craquer. «Tu deviens fou à rester enfermé toute la journée, alors quand tu sors, tu peux avoir de mauvaises pensées, voler ou agresser». Occupé à rouler sa cigarette, Sunny, le plus jeune des sept, ex-footballeur dans une petite équipe du Nigéria, acquiesce d’un hochement de tête. Il est allé frapper à la porte de quelques clubs de foot, sans succès. Sans papiers, clandestin, il n’a trouvé personne pour lui donner sa chance. «Le gouvernement marocain doit nous laisser travailler», me glisse-t-il dans un soupir. Sur le petit écran télé, coincé entre le mur et le matelas, un dvd diffuse en boucle les clips d’un chanteur nigérian. Ici, on vit surtout de la charité des associations marocaines ou de l’église protestante de Casablanca, qui fournissent vêtements et nourriture. Quoique ne maîtrisant que l’anglais, John, ancien commerçant dans la banlieue de Lagos, a bien essayé de travailler. Dans les chantiers, dans les parkings pour laver les voitures, à chaque fois la même réponse : le travail, c’est d’abord pour les Marocains. Et puis affirme-t-il : « Les patrons ont des consignes pour ne pas embaucher les Subsahariens sans papiers». Seule option pour régler au propriétaire, résidant au-dessus du garage, les 800 dirhams mensuels de loyer : tendre la main dans les artères chic du centre ville. «Mais là, tu risques de te faire arrêter», fait remarquer Sunday. En deux ans, il s’est fait prendre trois fois dans une rafle : reconduit en bus à la frontière algérienne, lâché en plein désert… Retour à pied au Maroc.

Ils seraient entre 10 et 15 000 subsahariens à transiter par le Maroc. D’eux, on sait peu de chose : aucune étude sérieuse n’existe pour déterminer d’où ils viennent, ni leur niveau de qualification. Mais une chose est sûre : si tous ont un désir d’Europe, c’est avant tout pour gagner leur vie décemment. Parmi eux, certains ont le bac ou ont même fait un brin d’études supérieures. Dans le tourisme, le bâtiment, l’offshoring, les entrepreneurs se plaignent du manque de main d’oeuvre. Ici et là, des déclarations d’officiels marocains évoquent même timidement la possibilité de recourir à de la main d’oeuvre étrangère. Sunday et ses six «frères», en pleine force de l’âge, se morfondent depuis deux ans dans la précarité. Une question vient alors à l’esprit : «Pourquoi pas eux ?»

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