Origines et évolutions du travail, acte II

Ô temps suspend ton vol

Ce billet s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche sur le sens et la valeur que l’on accorde au travail dans le contexte marocain. Ce qui suit fait l’objet d’une brève synthèse sur l’évolution de la notion de travail dans le monde, avec une mise en lumière d’éléments problématiques actuels à l’aune du thème des modes de production nouveaux dans les entreprises.

Le temps et le travail

Depuis Bergson et Einstein, la considération différenciée du temps selon les disciplines et les paradigmes crée une brèche dans l’appréhension de la relation entre le temps et le travail. A la séquencialité linéaire et mathématique du temps objectif s’oppose la durée et le vécu, dimension plus subjective du temps.

Le pratique des organisations de tous types, et ce depuis le début du siècle dernier, a cadré le travail dans une modalité quantitativiste et productiviste. Le rendu, le livrable, le délai, la quantité d’heures passées au bureau, la quantité de notes prises en réunion, la quantité d’indicateurs de performance, le reporting obligatoire et le contrôle à outrance peuvent produire l’effet inverse des expectatives initialement prévues d’efficience, et autant de moyens de pression qui inhibent l’individu à travailler à ses conditions, suivant des périodes discontinues, à son rythme et pour qu’il puisse personnaliser son travail. Déjà, Douglas Mc Gregor avait souligné dans les années 1950 la distinction entre les personnes catégorisées « X » et celles « Y », nuance selon laquelle les premières nécessitent plus de contrôle, de direction et de sanctions pour pouvoir produire, et les secondes qui acceptent les responsabilités et qui aiment prendre des initiatives en faisant preuve de créativité. Force est de constater que cela induit un écueil au niveau du temps de travail qui doit être imparti, si l’on considère le cadrage quantitativiste du travail mentionné ci-haut. Aux X l’on imposera un temps de travail bien défini, tandis qu’aux Y l’on accordera plus de temps, et ce temps ne sera plus un critère pertinent pour l’évaluation de la performance. Pour l’organisateur du travail, il convient alors de déceler qui serait plus proche du X et du Y, et d’éviter toute standardisation à ce niveau.

Conséquences

Le temps est précieux et il est un gage de qualité, mais les diplômes, la carrière, la compétition deviennent des impératifs de réussite extérieure au détriment de la réussite intérieure. Or, si l’on prend l’exemple de la carrière, il apparaît illusoire de se préparer toute une partie de sa vie à des fonctions qui ne seront plus les mêmes au moment où l’on y parviendra. A la carrière unique et linéaire, on préfère une succession de trajectoires multiples. La vie étant une suite de choix et d’objectifs, l’adaptation en devient la règle. De Rosnay parle de l’hypocrisie du travail-alibi, travail conformiste qui donne l’illusion à tout un chacun de sa valeur dans une société. Or « la valorisation du travail peut cacher une fuite devant l’être », comme le souligne Denis Vasse dans le Temps du désir.

La cybernétique nous a enfin appris à cet escient que dans un environnement qui se modifie, les servomécanismes contribuent à la réussite de l’adaptation, et que la programmation tend à l’échec. Les retours aux théories ne sont pas dénués de sens, ce qui nous amène à reprendre la formule bien léchée de Kurt Lewin, selon laquelle il n’y a pas plus pratique qu’une bonne théorie.