Edito 12: c'est la lutte des places

Aujourd’hui, deux tensions sociodémographiques se conjuguent et font pression sur les pouvoirs politiques et les décideurs économiques. D’un côté, des jeunes formés, tant mal que bien, déferlent en masse sur les places publiques pour exiger de la dignité, du travail et une place au soleil. En réponse, ils reçoivent au mieux des abris à l’ombre de la précarité. En parallèle, de plus en plus de femmes émancipées, autonomes, débarrassées de traditions inhibitrices, avancent leurs pions pour parvenir à une parité rêvée. Or, elles butent sur des sociétés largement patriarcales et des patrons peu enclins, face à des compétences égales, à favoriser l’égalité des chances entre les sexes. Nous sommes passés, en un peu plus d’un siècle, d’un capitalisme laborieux, masculin, physique, compartimenté, qui génère une lutte de classes, à un capitalisme fluide, cognitif, séducteur, qui produit une lutte de places. Dans les pays dits åarabesò, la course aux places coûte plus cher qu’ailleurs. Avec des populations extraordinairement jeunes, qualifiées ou du moins formées, et des réalités économiques qui défient les stratégies de domination masculine, les demandes d’intégration sociale se démocratisent, sans qu’il y ait de réponses innovantes, flexibles et ingénieuses pour les satisfaire.

Le déphasage risque d’aller crescendo. En effet, nous assistons à deux tendances opposées. Alors que l’espace public se rajeunit et se féminise, à vue d’oeil, créant un besoin accru d’emplois frais, d’écoute intelligente et de mixité productrice, les modèles de gouvernance, dans les pays du Sud, demeurent largement centralisés, machistes et paternalistes. Cela produira, à terme, un autre choc de cultures, si les vagues de révolte de 2011 ne conduisent pas à une réingénierie des modes de participation et d’inclusion des jeunes déclassés et des femmes déconsidérées. L’immigration, la drogue, la prostitution et l’informel ne pourront pas indéfiniment servir de soupapes à des systèmes qui ne s’adaptent pas aux micro-réalités locales, infantilisent les moins de trente ans et traitent en dernier recours les demandes d’emploi provenant du deuxième sexe. Les solutions appartiennent autant aux politiques qui se doivent de casser les conformismes, aux acteurs économiques qui ne peuvent plus porter des ornières face à leur environnement humain et social, qu’aux chercheurs devant au moins faire un remue-méninges pour aider les décideurs à sortir de l’impasse.

Il ne faut pas l’oublier, la lutte des places ne fait que commencer. Et il va bien falloir élargir l’aire de jeu et former des arbitres impartiaux pour qu’elle nedégénère pas.

 

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