Entrepreneurs et si on tenait compte du système familial ? le cas du Maroc comme révélateur

Entrepreneurs et si on tenait compte du système familial ? le cas du Maroc comme révélateur

Introduction

La question du comportement de l’entrepreneur, de ses motivations ou de ses aspirations n’est pas une question nouvelle. Mais, la compréhension des mécanismes entrepreneuriaux reste au centre de la dynamique économique, et ce, en particulier dans les pays du Sud. Déjà Jean Baptiste Say, au XIXe siècle, insistait sur le fait que le bien-être d’un pays dépend de ses entrepreneurs (in Touneset Fayolle, 2006). L’entrepreneur est un artiste (Zahra et Bettinelli, 2012) qui fait la différence dans la manière dont il combine ses connaissances pour créer de la valeur (Zahra et Randerson, 2012). Au-delà des connaissances dont nous disposons aujourd’hui sur la manière dont les entrepreneurs identifient et exploitent des opportunités d’affaires, il semble important de se pencher sur le processus qui leur permet, à partir de ce qu’ils sont, de créer de la valeur.

De nombreux auteurs se sont pourtant penchés sur l’influence de la culture, définie par l’UNESCO comme étant « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs d’un groupe social donné », en s’intéressant à l’impact des normes et systèmes de valeurs nationales sur le comportement des entrepreneurs. En sciences de gestion, c’est le modèle de Hoftsede (1984) et ses dimensions culturelles qui sont le plus souvent retenus comme cadre d’analyse (Tsui et al., 2007). Ce modèle présente cependant un certain nombre de limites, maintes fois réitérées, tant quant à l’approche retenue pour sa construction qu’aux conséquences possibles d’une vision réductrice de la réalité culturelle des aventures entrepreneuriales. Dans une communication à l’occasion de la création de la Hoftsede Chair on Cultural Diversity de l’Université de Maastricht, Peterson (2007) construit un ensemble de propositions qui permettront à la communauté scientifique de mieux apprécier les effets de la variable culturelle. Parmi ces propositions, il insiste sur l’intérêt de clarifier les relations des individus à la culture nationale, de proposer des alternatives aux valeurs proposées par le cadre de référence de Hofstede, de reconsidérer les frontières culturelles et de renforcer notre connaissance, au travers d’études qualitatives, des zones sous-étudiées telles que l’Afrique ou le Moyen-Orient.

Dans une approche configurationnelle du processus entrepreneurial, les dimensions du contexte environnemental sont prises en compte au niveau concurrentiel (Gartner, 1985) et au niveau du contexte socio-politique (Bird, 1988). Ces travaux fondateurs, pourtant déjà anciens, ont été complétés au fil des recherches, et l’anthropologie est un des champs disciplinaires qui s’est intéressée à l’entrepreneuriat. En effet, l’anthropologie peut interroger la manière dont les individus conçoivent les questions relatives à la naissance, à la propriété, aux relations de cause à effet, au temps ou encore à l’endettement (Rutherford, 2010) et qui peuvent ainsi être déterminantes dans le comportement des entrepreneurs. En nous intéressant à cette dimension anthropologique et en nous appuyant sur des travaux centrés sur les entreprises familiales (Minialai, 2013), nous nous interrogeons ici sur l’impact que peut avoir, au-delà des dimensions culturelles, le système familial sur le comportement des entrepreneurs. Dans ce travail exploratoire, nous utiliserons la situation du Maroc comme un révélateur.

Vers une conception moins individualiste de l’entrepreneur

Définir l’entrepreneur est en soi une première difficulté. En effet, si pour certains il est le preneur de risques, pour d’autres il est nécessairement confondu avec l’organisation qu’il fait naître et les processus dynamiques mis en œuvre. Il est à l’origine de la création de valeur. On peut même l’étudier au travers d’une notion plus large qui est l’esprit entrepreneurial et qui inclut l’ensemble des savoir-être d’un individu (Leger-Jarniou, 2010). Pourtant, la conception que nous avons de cet individu est souvent trop individualiste (Nikina et al., 2012), au sens où l’individu qui impulse le projet est étudié le plus souvent comme un acteur isolé, ancré localement (Torres, 2001).

Cet ancrage sociogéographique semble déterminant et « l’action entrepreneuriale ne peut se concevoir en dehors de la société qui la contient  » (Torres, 2001, p. 2). C’est pour cela que, après avoir repris les principales caractéristiques de l’entrepreneur à l’origine du projet de création organisationnelle, nous nous intéresserons à la dimension culturelle qui oriente et modèle son action et, enfin, nous recenserons les travaux qui se sont attachés à essayer de comprendre le rôle de la famille.

   L’entrepreneur, moteur de l’aventure entrepreneuriale

S’interroger sur l’entrepreneuriat, pour mieux en comprendre les mécanismes et les processus, est indissociable de l’homme ou de la femme qui est à l’origine de l’aventure entrepreneuriale et du processus de création. La connaissance de cet individu, du fait de la relation de « symbiose qui le lie à l’organisation qu’il a impulsée » (Verstraete et Saporta, 2006, p. 286), permet à terme de mieux appréhender l’ensemble des processus mis en œuvre au sein de la future entreprise, ainsi que son éventuelle pérennité. À ce niveau, plusieurs approches sont traditionnellement mobilisées pour « analyser » l’entrepreneur : la première s’attache aux traits qui le caractérisent, alors que la deuxième se concentre sur ses comportements.

L’approche par les traits

Les années 80 sont marquées par une approche de l’entrepreneur qui retient essentiellement les aspects psychologiques et les traits de personnalité de l’individu, pour expliquer la réussite ou l’échec des aventures entrepreneuriales. L’ensemble de ces caractéristiques sont généralement analysées au travers de trois dimensions qui se complètent et contribuent à la dynamique du processus entrepreneurial (Lorrain et Belley, 2009). Dans cette perspective, la performance entrepreneuriale peut s’analyser autour de trois axes : la personnalité de l’entrepreneur (ce qu’il est), sa motivation et, finalement, ses compétences (Blawat, 1995). En somme, l’ensemble des ces dimensions se retrouvent dans l’idée que ce qui caractérise un entrepreneur, c’est finalement sa capacité à voir les choses et le monde qui l’entoure différemment des autres (Zahra et Randerson, 2012).

La littérature existante a multiplié au fil du temps les typologies d’entrepreneurs et les caractéristiques « types » d’un individu qui décide de se lancer dans une aventure entrepreneuriale[1]. La pérennité des entreprises nouvelles est d’ailleurs liée aux motivations des entrepreneurs (Nakara et Fayolle, 2012).

Ces motivations des entrepreneurs pour démarrer leur propre activité peuvent être regroupées autour de six grandes catégories (Carter et al., 2003). L’entrepreneur cherche à faire quelque chose de nouveau, pour lui, pour l’économie...ce qui se retrouve dans l’ensemble des motivations liées à l’innovation, qui s’appuient, entre autres, sur la capacité des entrepreneurs à construire un projet sur la base d’une intuition (Veciana, 1989). De plus, l’entrepreneur a une appétence pour une certaine liberté qui lui donne le contrôle sur sa destinée et son organisation ; celle-ci est regroupée sous l’ensemble des éléments liés à la recherche d’indépendance. Le besoin de reconnaissance est la troisième dimension identifiée et se caractérise par la recherche de statut social, et de reconnaissance au sein de son groupe d’appartenance et de sa communauté familiale, sociale par exemple. On peut ensuite citer le fait que les motivations des entrepreneurs sont aussi liées à sa volonté de suivre un exemple, que celui-ci soit au sein de la famille ou à l’extérieur. La recherche de réussite financière est, elle aussi, un moteur significatif identifié dans la littérature. Elle permet de gagner sa vie et est un moyen d’obtenir une certaine sécurité financière. Enfin, la recherche d’accomplissement de soi et d’épanouissement de l’individu est importante, même si elle ne peut pas être limitée aux entrepreneurs.

À ces motivations, que l’on retrouve fréquemment dans les profils et les typologies d’entrepreneurs, s’ajoutent des traits de la personnalité, parfois considérés comme caractéristiques. On peut ainsi citer la créativité des individus, mais aussi leur capacité à prendre des risques raisonnés (Duchesneauet Gartner, 1990) ou à faire preuve d’une énergie plus importante, autant d’éléments qui dynamisent le processus entrepreneurial (Miller, 1983).

Cette approche dite psychologique, s’attachant à identifier les caractéristiques de la personnalité de l’entrepreneur, ne permet pas réellement de distinguer les entrepreneurs des non-entrepreneurs. Elle peut donc être complétée par une approche par les compétences.

L’approche par les compétences

Cette vision comportementaliste de l’entrepreneur s’attache à chercher à identifier et à comprendre ce que fait l’entrepreneur, et qui le distingue en cela des individus qui ne passent pas à l’acte. En s’attachant donc aux actions des entrepreneurs, cette approche se différencie de l’approche par les traits qui est, elle, centrée sur ce qu’est un entrepreneur. L’ensemble de ces comportements, que l’entrepreneur peut améliorer au fil du temps, vont constituer le socle de la fonction managériale au sein de l’organisation nouvellement créée (Veciana, 2003).

L’entrepreneur est un visionnaire, capable de rechercher et de collecter des informations qui lui permettront de donner du corps à l’opportunité qu’il a su identifier dans son environnement (Brechet et al., 2009). Dans cette quête, il est porté par sa propre vision qui s’insère dans son environnement économique et socio-culturel et qu’il insuffle à l’organisation naissante (Mintzberg et al., 2005). Cette vision rejoint celle généralement retenue comme étant caractéristique des dirigeants d’entreprises familiales qui inscrivent la stratégie de leur organisation dans la poursuite de cette vision à long terme (Miller et Le Breton-Miller, 2005).

Il est aussi un individu qui dispose de suffisamment de connaissances lui permettant de prendre des décisions en situation d’incertitude forte, voire même d’ambiguïté. Ces savoirs ne sont pas statiques mais évoluent dans le temps, en particulier parce que cet individu est capable de tirer profit de son expérience et d’enrichir ainsi ses connaissances, dans un processus d’apprentissage continu (Verstraete, 2001).

Inséré dans son environnement, et en interaction permanente avec celui-ci, l’entrepreneur est capable de tisser un réseau de relations qu’il élargit au fur et à mesure de la construction de son projet et de s’y appuyer. En effet, le projet, au départ individuel, ne peut exister et prendre corps sans le soutien d’un réseau d’acteurs qui accompagnent l’entrepreneur (Bréchet et al., 2009). La confiance sera d’ailleurs un élément déterminant de l’efficacité de ce réseau dans l’accomplissement du projet entrepreneurial.

L’entrepreneur est enfin capable de gérer les risques, de diriger et d’animer son projet pour le mener à terme. Il doit en effet arbitrer en permanence entre les objectifs de croissance, de pérennité et de d’indépendance (Julien et Marchesnay, 1987).

Pourtant, une vision monolithique de l’entrepreneur et de l’entrepreneuriat serait trop réductrice, et les différences existant d’un entrepreneur à l’autre et d’une aventure entrepreneuriale à l’autre sont grandes (Gartner, 1985 ; Torres, 2001) et auraient même tendance à s’accentuer au fil du temps eu égard, par exemple, aux motivations même des entrepreneurs (nous pouvons ici citer l’exemple des situations paradoxales des auto-entrepreneurs [Pereira et Fayolle, 2013]).

   Culture et entrepreneuriat

La question des relations entre la culture et les entreprises se pose généralement à deux niveaux. Au premier niveau, on remarque que la culture nationale d’un pays affecte la dynamique entrepreneuriale en ce sens qu’elle va « faciliter » ou non la création de nouvelles formes organisationnelles, créatrices de richesse et pérennes. À un autre niveau, la question qui se pose est celle de la culture organisationnelle elle-même qui, au départ, est « dans la tête du fondateur » (Schein, 1983) et qu’il façonne à sa manière.

La question de la relation existant entre l’activité entrepreneuriale et la culture nationale n’est pas récente, puisque déjà Max Weber en 1904, défend l’idée selon laquelle la culture et l’appartenance religieuse expliquent, au moins en partie, l’activité entrepreneuriale d’une société. Le modèle le plus propice à l’entrepreneuriat étant, selon lui, une société construite sur l’éthique protestante. Cette forme d’approche permettrait ainsi d’expliquer la propension des nations à favoriser la création ou l’orientation entrepreneuriale de leurs ressortissants (Freytaget Thurik, 2006). Pourtant, l’entrepreneur a souvent du mal à se déplacer, et dans la typologie proposée par Torres (2001), on retrouve quatre types d’entrepreneurs rattachés à des zones géographiques distinctes. L’ « entrepreneur libéral » a des valeurs qui se rapprocheraient plus de l’Amérique du Nord, l’ « entrepreneur informel » s’appuie sur des valeurs plus collectivistes et serait caractéristique du continent africain, l’ « entrepreneur corporatiste » est caractéristique de l’Europe et, enfin, l’ « entrepreneur en réseau » qui s’appuie principalement sur un tissu de relations.

Au-delà de la propension d’un État ou d’une culture donnée à faciliter ou à favoriser les aventures entrepreneuriales (Weber, 1904), on s’est interrogé sur les impacts de la culture nationale sur l’entrepreneur lui-même et sur ses attributs. En effet, la culture nationale affecte, de manière significative, les relations entre les individus, acteurs d’une organisation et leur vision de l’environnement dans lequel ils évoluent (Schneider et Barsoux, 2002).

Dans le cadre d’une comparaison entre neuf pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord, Thomas et Mueller (2000) ont pu mettre en évidence une relation entre la distance culturelle − c’est-à-dire le degré d’éloignement entre deux cultures issues de deux pays différents (Viega Pires, 2011) − et certains traits caractéristiques des entrepreneurs. Ainsi, plus la distance culturelle avec les États-Unis est importante, plus le « locus of control » est faible, les auteurs proposant d’expliquer cette relation par la dimension individualiste ou collectiviste de la culture nationale (Hoftsede, 1984). De la même manière, la capacité à prendre des risques − qui diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne des caractéristiques culturelles américaines − pourrait être liée à l’attitude des nations face à l’incertitude, une des dimensions proposée par Hofstede (1984).Les travaux du projet GLOBE (Global Leadership and OrganizationalBehavior), démarrés en 1993, complètent le cadre d’analyse en s’appuyant sur des données collectées auprès de 62 pays, et en s’attachant à la manière dont la culture nationale affecte les pratiques de management au sein des organisations (House et al., 2004). Ainsi, par exemple, les pays, comme le Maroc, dans lesquels la distance au pouvoir est la plus grande, favorisent l’émergence d’un pouvoir de direction autocratique (Kasabakal et al., 2012).

Pourtant, la distance culturelle ne peut, à elle seule, expliquer l’ensemble des différences de comportement d’un individu à l’autre. En effet, même si la culture nationale est une dimension relativement stable, (d’Iribarne, 2009), les approches interculturelles retenues en management ne tiennent compte ni de la diversité régionale (Shenkar, 2001) ni de la diversité sociale (Mc Sweeney, 2002) qui existent au sein d’une nation (Livian, 2011). Elle imprègne l’individu dès les premières étapes de sa socialisation, en particulier au sein de sa famille, et interagit avec d’autres facteurs tels que la langue, la religion ou le système politique (Dow et Ferencikova, 2010).

L’ensemble de ces éléments rejoignent d’une certaine manière la description de l’ « entrepreneur informel », caractéristique du continent africain qui, en développant une petite PME, « s’insère dans un réseau de relations sociales de sa communauté géographique ou ethnique » (Torres, 2001). En effet, l’activité économique répond dans ce cadre aux besoins de la cellule familiale et à ceux de la communauté à laquelle l’entrepreneur appartient. Ceci nous conduit naturellement à nous interroger sur le rôle de la famille dans l’activité entrepreneuriale en redonnant à l’institution famille et à ses dynamiques une place de premier plan, ce qui n’est quasiment jamais le cas (Le Texier, 2013).

   Le rôle de la famille

Dans un pays comme le Maroc, pays en développement du Maghreb arabe, les diversités régionales sont importantes (des Fassis aux Berbères), à tel point que ce pays est parfois qualifié de Tour de Babel (Allali, 2008) et la diversité sociale très marquée dans une société encore fortement inégalitaire. Pourtant, la dimension entrepreneuriale ne se limite pas à une certaine classe sociale, et traverse l’ensemble de la société marocaine dans toutes ses dimensions[2]. Dans cette optique, l’anthropologie, qui s’intéresse aux relations qu’entretiennent les individus avec le capitalisme, a probablement beaucoup de choses à dire à ceux qui étudient l’entrepreneuriat (Rutherford, 2010).

D’ailleurs, dans la dynamique entrepreneuriale, le rôle de la famille a été à de multiples reprises mis en évidence, de même que celui de l’éducation, et ce, alors même que la « parentèle[3] est l’endroit où l’État moderne et le capitalisme moderne ne sont pas » (cité dans Rutherford,  2010). Dans le recensement de la littérature (Gartner, 1988) s’attachant aux caractéristiques des entrepreneurs, les spécificités de la famille, des parents ou de l’éducation ont été mises en évidence (Cooper et Dunkelberg, 1981 ; Gomolka, 1977). Pourtant, l’analyse de l’importance du rôle de la famille de l’entrepreneur reste le plus souvent limitée à la phase de gestation de l’aventure entrepreneuriale, avant même que ne démarre le processus lui-même (Veciana, 2007). L’intégration de la vie privée (couple et/ou famille), ainsi que l’intégration de la famille, dans l’étude des dynamiques entrepreneuriales a pourtant été sollicitée, en particulier pour tenter d’expliquer les raisons de leurs succès ou de leurs échecs (Danes, 2011).

La famille peut être d’abord le premier apporteur de capitaux, et ce, dans différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Au-delà du capital financier, et des premiers fonds qui sont souvent issus du « love money[4] », c’est la dimension du capital social sur laquelle nous allons nous concentrer ici. En effet, la conception générale de ce qu’est le capital social est qu’il s’agit d’un ensemble de ressources, réelles ou potentielles, d’un individu, liées à son appartenance à un réseau durable de relations (Bourdieu, 1980). Ce capital démarre avec le fondateur qui le crée en parallèle, tant au niveau de l’organisation qu’au niveau de la famille (Coeurderoy et Lwango, 2008). Ce réseau social, sans qui le projet ne pourrait pas se concrétiser (Bréchet et al., 2009), est centré sur l’entrepreneur et animé par lui en raison du lien privilégié, quasi filial, qui le lie à son organisation (Kets de Vries, 1977)

De plus, le mode d’éducation (« parenting style » en anglais) va affecter les intentions et les capacités entrepreneuriales des enfants, comme cela a été montré dans des travaux réalisés en Turquie. Ainsi, Iraz (2005, cité par Bozet Ergeneli, 2014) montre que l’éducation, les attitudes et les comportements des parents peuvent limiter, encourager ou être neutre vis-à-vis des capacités et intentions entrepreneuriales des enfants. Ainsi, les individus dont les familles sont caractérisées par peu de contrôle, un haut niveau d’acceptation et peu de confrontation sont plus susceptibles de créer leur entreprise que ceux qui sont élevés dans des familles autoritaires. Ainsi, en reprenant le contexte de l’intention tel qu’il a été représenté par Bird (1988), on peut compléter ce schéma en incluant le système familial, un élément qui est une partie intégrante de l’histoire personnelle de l’entrepreneur, et qui impacte sa personnalité et ses capacités à entreprendre (Figure 1). Mais, ce système familial est aussi indissociable du contexte social, politique et économique de la zone dans laquelle l’entrepreneur passe à l’action.

Enfin, construits à partir de travaux consacrés aux thérapies familles, le fonctionnement de certaines typologies de famille et, en particulier, leur cohésion et leur flexibilité leur permettent de mieux gérer les pressions occasionnées par un certain nombre de changements, tels que ceux induits par le démarrage d’une activité entrepreneuriale (Olson et Gorall, 2003 ; Olson, 2011).

Ainsi, au-delà des problématiques culturelles, qui se positionnent au niveau des nations et qui permettent d’expliquer le comportement des individus d’une nation en les comparant à ceux d’une autre nation, le système familial et les dynamiques familiales, peuvent être à l’origine de ce qui fait qu’un individu devient ce qu’il est (Figure 2). Cette approche, fréquemment retenue dans les travaux consacrés au système des entreprises familiales, place l’individu, entrepreneur ou acteur de l’entreprise familiale au centre d’un système sur lequel agissent et le système familial et le contexte socio-culturel (Miller et al., 2004 ; Pieper et Klein, 2007).

             

Ainsi, il nous semble donc nécessaire à ce stade d’intégrer à l’analyse la notion de système familial, afin de voir si elle peut apporter une clé de lecture complémentaire aux approches actuelles sur l’entrepreneur et l’entreprenariat.

Le système familial : Une autre clé de lecture qui mobilise l’anthropologie au service des sciences de gestion

Au-delà de ce qu’est la structure de la famille marocaine, et au-delà de son ancrage culturel, l’anthropologie permet de s’intéresser aux comportements du système dans son ensemble. Dans cette approche, la logique de la parentèle, qui peut être définie comme « le réseau de relations biologiques et de liens sociaux modelés comme la parenté généalogique »[5] (Good, 1996, cité par Stewart, 2003) peut supplanter la logique du marché, et modeler ainsi le comportement des entrepreneurs. Nous avons alors choisi de présenter ici le modèle de système familial proposé par Todd (1983) et rarement mobilisé en sciences de gestion de manière générale. Dans un deuxième temps, nous présenterons la situation du système familial qui prévaut au Maroc, et qui nous servira ici d’étude de cas exploratoire.

 Le système familial et ses caractéristiques

Les travaux de Le Play (1884) sont les premiers à proposer une approche différentielle des systèmes familiaux tenant compte de leurs logiques comportementales. Ils identifient ainsi trois systèmes familiaux distincts en Europe, chacun de ces types correspondant à un ensemble de valeurs et pouvant expliquer les logiques politiques en action dans les différentes régions étudiées au travers de monographies. Les valeurs retenues pour chaque système familial sont : liberté et autorité, et inégalité et autorité.

En s’appuyant sur cette analyse, Todd (1983, 1999, 2011) rajoute une dimension et propose une carte mondiale des systèmes familiaux construite à partir de cinq types de familles qui influencent les comportements des acteurs, le niveau de développement et les évolutions démographiques (Figure 3).

                  

Cette typologie utilise ainsi quatre dimensions qui, combinées les unes aux autres, permettent d’identifier et de caractériser les différents systèmes familiaux existant de part le monde[6].

La première dimension retenue est le degré de liberté (ou d’autorité) existant à l’intérieur de la famille. Les relations entre les parents et les enfants sont déterminées par le degré de liberté autorisé et toléré à l’intérieur du système. Cette dimension peut, par exemple, influer sur la possibilité pour les enfants de quitter le foyer familial relativement tôt pour s’installer dans leur propre foyer de manière autonome. « Ce modèle libéral insiste sur l’indépendance des individus » (Todd, 1999, p. 27). À l’inverse, les enfants, qui se plient au modèle autoritaire de relations familiales, resteront chez leurs parents même une fois mariés.

La seconde dimension est construite sur les relations entre frères et sœurs, en particulier face aux règles de succession. Ces règles peuvent être traditionnellement égalitaires. Dans ce cas, le patrimoine des parents est divisé de manière égalitaire entre les enfants[7]. À l’opposé, un système familial inégalitaire est caractérisé par l’indivisibilité du patrimoine des parents et, dans le cadre d’une succession, celui-ci est alors transmis à un seul descendant. Mais au-delà des règles et des principes s’appliquant à la succession patrimoniale, la notion d’égalité recouvre aussi une dimension affective et émotionnelle. En effet, dans un système familial de type égalitaire, « les sentiments sont également répartis entre tous les enfants par les parents » (Todd, 1999, p.33). De plus, parents et enfants sont dans ce type de système liés par la coutume et les normes, et « ne peuvent échapper à une détermination qui paraît naturelle ».

 

La troisième dimension, ajoutée aux travaux de Le Play, caractérise la possibilité pour les enfants de chercher (ou de trouver) un conjoint à l’extérieur des frontières de la famille étendue. L’endogamie, définie comme étant le fait de se marier à l’intérieur de son groupe tribal, ou à l’inverse l’exogamie, traite finalement de l’existence et de l’importance des règles et des normes en vigueur au sein du système familial quant au choix d’un conjoint à l’intérieur ou à l’extérieur de la famille étendue. Un système familial endogame privilégie les unions entre cousins de premier rang (cousins dits germains) et renforce ainsi les relations qui existent entre les frères et sœurs en leur adjoignant des relations maritales. À l’inverse, l’exogamie ouvre un champ de possible beaucoup plus large s’agissant pour un enfant de choisir son conjoint.

La dernière dimension prise en compte pour caractériser les différents systèmes familiaux de part le monde est la nature de la dimension autoritaire au sein de la famille. Sans pour autant confondre avec les valeurs culturelles de type masculin ou féminin, cette dimension s’attache à identifier si l’autorité est détenue par le père ou par la mère au sein du système familial.

La carte des systèmes familiaux établie par Todd (1999) (Figure 4) met en évidence quatre[8] grands types de familles au vu des valeurs prises par les quatre dimensions présentées précédemment. Ces systèmes familiaux ne sont pas immuables, ils évoluent au contraire dans le temps et dans l’espace (Todd, 2007, 2011).

                                                                  

 

Le cas du Maroc

S’agissant du Maroc, le système familial dominant est un système communautaire endogame, majoritairement patrilinéaire (Chaulet, 1997 ; Courbage et Todd, 2007) construit autour de relations autoritaires entre les enfants et leurs parents, leurs pères plus particulièrement, auquel s’ajoute l’autorité de la coutume et des usages. De ce fait, les enfants restent au foyer de leurs parents longtemps après avoir atteint l’âge adulte et même parfois après leur mariage. Quant aux filles non mariées, elles restent aussi au sein de la cellule familiale, sous l’autorité de leur père d’abord, puis sous l’autorité de leur frère ensuite (Duranton et al., 2007). La transmission des valeurs familiales[1] peut donc s’étaler sur une période longue. Dans cette famille communautaire, « le groupe domestique est tout-puissant » (Todd, 1999, p. 152) et les relations entre frères et sœurs ont au moins autant d’importance que les relations entre parents et enfants. D’ailleurs, cherchant à qualifier la situation du Maroc du point de vue de la dimension culturelle du collectivisme ou de l’individualisme, Allali (2008) propose un néologisme en expliquant que « le Marocain est primordialement mû par des intérêts familistes. C’est sa petite famille avant tout ».

Les règles d’héritage, issues du droit coranique, si elles peuvent être qualifiées d’égalitaires au sens de Todd, répartissent le patrimoine entre de très nombreux ayants droits appartenant à l’ensemble du groupe familial (horizontalement aux frères et sœurs, et verticalement aux parents et aux enfants). Cette répartition ne laisse aucune place au hasard ou à la discrétion des parents puisque le nombre de fractions du patrimoine attribué à chaque ayant droit est fixé par les textes.

Ce système renforce encore le caractère endogamique du système familial. En effet, les unions entre enfants de frères, donc entre cousins paternels, sont traditionnellement privilégiées et favorisent ainsi le maintien du patrimoine à l’intérieur du groupe familial. « Ce type d’alliances permet d’ailleurs à la famille communautaire de se refermer sur elle-même. » (Todd, 1999, p.146).  L’ensemble de ces éléments conduit à considérer le système familial marocain comme étant un des plus rigides et anti-individualiste au monde du fait de son organisation (Todd, 2010). En cela, il s’oppose fondamentalement aux systèmes familiaux dominants en Europe occidentale et aux États-Unis. Ceux-ci sont en effet des systèmes familiaux nucléaires, majoritairement absolus qui, très tôt, libèrent les enfants de l’autorité parentale et rejettent traditionnellement les unions endogames.

Le Maroc n’est cependant pas un cas unique ; il fait partie, selon ces travaux, d’un ensemble plus large (Todd, 1999, p.145) qui regroupe l’ensemble du monde arabe, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Cependant, le Maroc se trouvant à une des extrémités de cette zone, les évolutions du système familial apparaissent et sont « adoptées » plus lentement et bien plus tard que dans la partie centrale de la zone par exemple (Courbage et Todd, 2007).           

Discussion

En réponse à la problématique que nous avons posée et qui interroge les impacts que peut avoir le système familial sur l’entrepreneur et le processus entrepreneurial, nous nous attacherons ici à discuter les implications que l’étude de cas exploratoire du Maroc suggère. Nous étudierons les différentes dimensions du système familial marocain en les confrontant à la vision entrepreneuriale, à l’intention entrepreneuriale et, enfin, à la gestion des réseaux.

 Système familial et vision entrepreneuriale

L’entrepreneur dans son projet de création de valeur est le moteur de l’innovation, en ce sens qu’il est à la fois capable d’identifier dans son environnement économique des opportunités auxquelles il cherchera à répondre en combinant de manière différente les facteurs de production. Il doit être, de ce point de vue, capable de penser et de raisonner en dehors du cadre établi, et donc en dehors des valeurs, des normes et des coutumes dans lesquelles il a été élevé. Dans cette dimension, l’entrepreneur est un créatif et « l’entreprenariat est un art » (Zahra et Bettinelli, 2012).

Le système familial marocain est un système familial autoritaire de type patrilinéaire, comme nous l’avons exposé précédemment, qui impose aux enfants l’obéissance, le respect des anciens et la domination du patriarche. De ce fait, s’opposent ici deux éléments contradictoires : la créativité nécessaire au démarrage d’une activité nouvelle et la dimension d’obéissance dans laquelle les jeunes marocains sont élevés, et qui les empêche de s’opposer à leurs parents au risque d’être banni (Bourquia, 2010). La prise d’indépendance et la recherche d’autonomie prônées par les systèmes familiaux dominants en Occident ne peuvent que limiter la créativité du futur entrepreneur.

Cependant, ce caractère autoritaire de la famille communautaire endogame renforce l’importance et l’impact du modèle que représente le patriarche, qui est l’exemple à suivre. Ainsi, les premiers entrepreneurs marocains sont souvent à la tête de dynasties d’entrepreneurs qui, en conformité et en adéquation avec leur système familial, reproduisent les comportements du chef de famille. Ce type de comportements n’est pas sans incidence non plus sur l’intention entrepreneuriale elle-même.

 Système familial et intention entrepreneuriale

L’intention entrepreneuriale est nécessaire pour transformer des idées en véritables aventures entrepreneuriales (Bird, 1988). Ce processus d’ordre psychologique nécessite de la part de l’individu de la persistance, de la persévérance et du courage. Elle est aussi nécessairement liée au besoin d’indépendance d’un individu et à sa capacité de construire son projet de manière libre et indépendante. De nouveau, le caractère autoritaire de la famille communautaire restreint les libertés individuelles et empêche les jeunes générations de se démarquer ouvertement de celle de leurs parents. En ce sens, le projet entrepreneurial peut être perçu comme une forme d’opposition aux valeurs familiales et comme un désengagement vis-à-vis de la communauté d’intérêts que constitue la parentèle. Les aspirations individuelles, qui se traduisent souvent chez les entrepreneurs naissants par un besoin d’accomplissement de soi et de reconnaissance, sont assujetties aux besoins de la parentèle (Perricone et al., 2001). Contrairement aux pays occidentaux dans lesquels traditionnellement les liens entre individus se négocient au sein du système familial , les rôles, droits et devoirs des individus répondent, dans les systèmes communautaires, à des normes strictes (Déchaux, 2009). L’individu doit se mettre au service de sa famille, et ceci démarre souvent relativement tôt et affecte les antécédents de l’intention entrepreneuriale. Ainsi, dans ce type de systèmes familiaux, il est admis que les générations des parents savent mieux que leurs enfants ce qui est bon pour eux, ce qui peut se traduire par exemple par des choix d’études ou de carrière contraints. On peut d’ailleurs considérer que les enfants ont une grande difficulté à échapper à leur destinée, déterminée pour eux par le système familial.

En revanche, le caractère égalitaire du système familial marocain, à la fois dans sa dimension patrimoniale et affective, contribue à préserver et à perpétuer une certaine harmonie familiale. Celle-ci se caractérise par une unité familiale et des relations entre individus caractérisées par l’affection, l’attachement et l’intérêt porté au bien-être des uns et des autres (Farrington et al., 2012). Cette harmonie familiale contribue à apporter un soutien supplémentaire à l’entrepreneur, soutien qui est critique dans la réalisation du projet en ce sens qu’elle augmente sa faisabilité (Tounes, 2006).

 Système familial et gestion des réseaux

La constitution et l’utilisation d’un réseau de parties prenantes sont une des compétences nécessaires à l’action entrepreneuriale et peuvent conditionner, dans une grande partie, la réussite ou l’échec du projet.

Certains travaux portant sur l’entreprenariat indigène ont mis en évidence les limites des approches culturelles pour comprendre de ce point de vue-là le comportement des entrepreneurs. Ainsi, une étude récente s’intéressant à l’utilisation des réseaux par différents groupes d’entrepreneurs (Danois, Hawaïens ou Aborigènes) a montré que chacun de ces groupes avait une vision différente du réseau. Celle-ci dépend en effet de la valeur que chacun d’eux cherchait à maximiser (Klyver et Foley, 2012). Ainsi, le réseau peut permettre de maximiser la valeur individuelle ou collective, voire même de recréer une forme de parentèle dans un environnement différent de son environnement d’origine. Si la dimension culturelle n’est ici, une fois encore, pas suffisante, les dimensions communautaire et endogame du système familial peuvent, en revanche, apporter un éclairage nouveau. En effet, dans le groupe auquel un individu appartient, les obligations et la loyauté mutuelles sont primordiales et modèlent les relations sociales et, de ce fait, le réseau de l’entrepreneur (Geertz et al., 1979).La confiance est d’ailleurs un élément essentiel de la dynamique du réseau construit autour de l’entrepreneur (Pereira et Fayolle, 2013). Ainsi, la création de valeur par le réseau ne peut se comprendre sans intégrer les motivations et les objectifs de l’entrepreneur lui-même. Dans un système familial communautaire et endogame, l’individu, au service de la collectivité, doit contribuer à pérenniser et à protéger le patrimoine familial en respectant les valeurs qui lui ont été véhiculées par son éducation. Ainsi, chacun doit permettre à tous de bien vivre (Gupta et al., 2010).

Le caractère endogame du système familial dominant au Maroc crée une communauté « juste » autour de l’autorité incontestée du patriarche. Dans le groupe, en s’appuyant sur une acception élargie de la notion d’endogamie, les relations se croisent et se perpétuent d’une génération à l’autre (Déchaux, 2009), ce qui permet à l’entrepreneur de s’appuyer sur un réseau de relations denses, historiques et durables, dans lequel la confiance et la parole donnée sont de rigueur (Bourquia, 2010). Cette stabilité des relations dans le temps est un élément déterminant du bon fonctionnement de ce réseau (Arrègle et al., 2007) et l’entrepreneur peut être protégé par son réseau en échange de sa loyauté (Allali, 2008).

Conclusion

            Un des intérêts majeurs de la prise en compte des systèmes familiaux pour comprendre les comportements des entrepreneurs et, éventuellement, faciliter et accélérer la dynamique entrepreneuriale tout en cherchant à pérenniser les organisations nouvellement créées est − contrairement aux approches culturelles qui se font au niveau des nations, et qui sont de ce fait très diverses − qu’on n’a à faire ici qu’à sept grands types de systèmes familiaux dans le monde. On pourrait alors imaginer à l’avenir que les comparaisons se fassent non pas d’État à État, mais d’un type familial à l’autre. Par ailleurs, ce travail s’intéresse à l’entrepreneur en tant que partie d’un tout.

            En partant du cas du Maroc, qui n’est à ce stade qu’exploratoire, il nous semble que le cadre d’analyse proposé par le fonctionnement des systèmes familiaux et leur évolution au fil du temps peut permettre d’enrichir notre connaissance des entrepreneurs et de leurs modes de fonctionnement de part le monde. Ainsi, « l’entrepreneur informel » (Torres, 2001) est certes caractéristique de cultures dans lesquelles les relations au sein de la parentèle élargie sont essentielles, mais il ne peut être représentatif de l’ensemble du continent africain. En effet, les systèmes familiaux du Maroc et ceux de l’Afrique subsaharienne fonctionnent selon des dynamiques propres, et ces dynamiques affectent nécessairement le comportement des femmes et des hommes qui choisissent de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale.

            Il nous semble à ce stade que les dimensions autoritaires, égalitaires et endogames du système familial marocain peuvent être des variables explicatives de la dynamique entrepreneuriale du Royaume, mais aussi des comportements des individus une fois qu’ils sont à la tête de ces organisations nouvellement créées. Le caractère autoritaire du système familial peut ainsi, selon le modèle proposé par le patriarche, tout autant favoriser que freiner l’action et l’intention entrepreneuriale, déjà difficiles pour des générations dont la liberté individuelle et l’indépendance sont fortement assujetties à la parentèle. L’endogamie, caractéristique de ces systèmes familiaux, est associée à l’égalité qui prévaut dans la dynamique des relations horizontales ; elle facilite la création et l’utilisation d’un réseau dense autour de l’entrepreneur, et apporte un véritable soutien.

            Ce travail présente de nombreuses limites, mais ne cherche à ce stade, qu’à proposer un cadre d’analyse nous permettant ultérieurement d’approfondir ce travail par une recherche empirique réalisée auprès d’entrepreneurs et de non-entrepreneurs en s’interrogeant sur la dynamique de leur système familial. En effet, si le système familial dominant au Maroc est de type communautaire et endogame, il subit aussi des évolutions significatives en particulier lorsqu’il est confronté à d’autres types de systèmes familiaux (occidentaux par exemple).

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[1].
Les valeurs dominantes de respect dû à l’autorité du chef de famille, de sens de l’honneur et de solidarité entre les membres (Bourdieu, 1961, cité par Touhami, 2005) perdurent alors même que l’on constate que les familles de type nucléaire deviennent peu à peu majoritaires dans le Royaume.

 

 

 

[1].
La distinction entre entrepreneuriat et intrapreneuriat ne présente pas d’intérêt particulier dans le cadre de ce travail. L’intrapreneuriat reste, d’une part, largement méconnu dans le contexte marocain, et, d’autre part, les dimensions familiales qui modèlent les individus ne peuvent pas être liées spécifiquement à une certaine forme d’entrepreneuriat. Cette distinction dépasse donc le cadre de ce travail.

 

[2].
Pour des raisons historiques, c’est à partir des années 70 et de la politique de marocanisation que naît au Maroc une nouvelle vague d’entrepreneurs qui ne sont plus nécessairement issus des classes aisées et dominantes, mais qui viennent aussi des classes moyennes (Belghazi, 1999).

 

[3].
Chez les anthropologues, la notion même de famille fait débat, et on lui préfère souvent la notion de parentèle (« kinship » en anglais) qui regroupe l’ensemble des personnes ayant un lien de parenté (La Fontaine, 2013).

 

[4].
Le «love money» regroupe l’ensemble des sommes apportées par la famille et les relations personnelles de l’entrepreneur.

 

[5].
« 
Most anthropologists (take) kinship to be a network of genealogical relationships and social ties modeled on the relations of genealogical parenthood. » (Good, 1996, p. 312, in Stewart, 2003, p. 384).

 

[6].
La question du degré de déterminisme du système familial sur le niveau de développement, la structure de la société dans son ensemble, la démographie ou le système politique (qui fait l’objet d’un débat animé entre spécialistes) dépasse largement l’objet de ce travail. De ce fait, nous ne retiendrons de l’approche par les systèmes familiaux que les dimensions de ces systèmes et leurs différentes valeurs en ce sens qu’elles peuvent, dans une certaine mesure, affecter les conditions de réalisation et les enjeux liés au processus entrepreneurial.

 

[7].
Et ce, même si certaines catégories d’enfants reçoivent plus que d’autres.

 

[8].
À ces quatre grands ensembles s’ajoutent les systèmes familiaux africains caractérisés au premier abord par une grande instabilité du groupe familial et une présence forte de polygamie. Des travaux complémentaires sur les systèmes familiaux africains ont été réalisés mais dépassent le cadre de cette recherche.

Les études sur les entrepreneurs, ce qu’ils sont et ce qu’ils font, ont à maintes reprises mis en évidence le fait que ces femmes ou ces hommes développent leur vision en se référant, de manière consciente ou non d’ailleurs,tant à un cadre culturel que spatial et social. Dans ce cadre, la dimension familiale et, en particulier, les comportements des parents ou les modes d’éducation ont été mobilisés pour tenter d’expliquer les échecs ou succès des entrepreneurs naissants. Cependant, cette dimension familiale n’a que trop rarement été interrogée en tant que variable explicative du comportement des entrepreneurs, et ce, au-delà de la seule dimension culturelle. Dans ce projet de communication et dans une démarche exploratoire, nous utilisons le cas du Maroc comme révélateur, et nous nous proposons d’étudier les impacts potentiels du système familial sur le comportement des entrepreneurs.