Activités informelles et crise sanitaire
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Activités informelles et crise sanitaire

A l’instar de nombreux pays en développement, la crise sanitaire en cours n’a pas manqué de mettre à genoux de larges pans des populations et de l’économie marocaine.  Pour empêcher la propagation du coronavirus, le Maroc a imposé un confinement à la population. Les actifs du secteur informel et les salariés non protégés sont parmi les catégories qui en ont le plus pâtit.

Il s’agit de petites unités de production, de service, des activités de débrouillardise exercées par des ménages que la cessation d’activités, prive de revenus, alors qu’il s’agit de populations déjà fortement fragilisées. Cette note se propose de mettre en évidence, dans un premier temps les principaux traits de l’informel,  les actions ou plutôt l’absence d’action à son l’endroit, les mesures prise dans l’urgence de la crise sanitaire et les interrogations quant aux actions futures.

L'estimation de l'emploi dans le secteur informel, est très délicate et varie selon les méthodologies utilisées. Selon le HCP, celui-ci occupe 36,3% de l’emploi non agricole  en 2014. Il s’agit de l’emploi au sein des microentreprises ne disposant pas de comptabilité. Si on ajoute le travail précaire, présent dans les unités structurées, la proportion s’élève à plus de 80%. Les activités du secteur informel se distinguent des activités illégales, interdites par la loi, mais sont tolérées par les pouvoirs.  Elles fonctionnent à petite échelle, selon des logiques familiales, avec un faible niveau d’organisation,peu ou pas de division du travail et le salariat y est faible. 

Le secteur dit informel est hétérogène et comporte des activités de survie, et des unitésdisposant de certaines potentialités.Celles-ci peuvent êtreexercées d’une manière individuelle ou dans le cadre de ce qui est appelle économie sociale et solidaire (coopératives, association). Au-delà de leur hétérogénéité, ces unités se caractérisent par une forte vulnérabilité et un déficit de travail décent des travailleurs ; L'auto-emploi (73 % de l’ensemble des unités) y est prédominant, alors que es unités de plus de quatre salariées sont minimes. L’informel se polarise dans les activités de commerce et les services peu exigeants en capital et en qualifications particulières et dans une moindre mesure dans les activités de petites productions. Près de la moitié ne disposent pas de local et 11,1 % exercent leur activité à domicile.

L’emploi y est occupé par des migrants, des déscolarisés, des femmes, des enfants, des petits fonctionnaires pluriactifs et des gens de tout bord. Ceux-ci se polarisent dans l’artisanat, l’alimentation, le textile, la construction, réparation de véhicules le, commerce de détail et ambulant, localisé ou non localisés.

Travaillant au jour le jour ou d’une manière occasionnelle, les revenussont irréguliers et instables.Les relations de travail, lorsqu’elles existent, s’appuient sur  les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur un contrat de travail.La quasi absence de contrat de travail, de couverture médicale et  de protection sociale (98% n’ont pas de couverture médicale) estd’ailleurs, la règle.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la prolifération de ces activités. Le modèle de développement à l’œuvre peu employant et peu inclusif, avec des difficultés à créer des emplois décents et la situation sur le marché du travail. Il faut ajoutera ceci, lamontée du chômage, la situation du système éducatif et les déperditions scolaires, la montée de la pauvreté, lors des précédentes décennies,les effets des processus d’ouvertures et de la mondialisation et l’insuffisance du cadre réglementaire.

D’une manière générale, les activités du secteur informel vivent des contraintes qui accentuent leur vulnérabilité. Parmi ces contraintes, on relève le très faible accès au crédit bancaire, la non maitrise des débouchés et des marchés, les  fluctuations et l’irrégularité de l’activité, le faible niveau de formation scolaire et professionnel des chefs d'unité et de la main d’œuvre.

En dépit de l'importance des activités informelles, on ne peut véritablement parler de leur reconnaissance officielle et Il n'existe pas réellement de promotion du secteur.  Non seulement une confusion existe, entre activités de survie, petite production, toute petite entreprise, mais les petites activités urbaines semblent délibérément délaissées. L’Etat adoptant une attitude de tolérance (ou /et de répression)à l’égard d’un secteur qui crée davantage d’emploi que le secteur moderne.Les actions entreprises ont visé principalementle micro crédit, l’encouragement des regroupements en coopératives, les activités génératrices de revenus. Cependant, ces actions sont davantage un moyen de lutte contre la pauvreté, que des actions de promotions,avec des résultats peu probants. Les programmes portant sur le soutien à l’auto-emploi(Moukawalati, statut de l’auto entrepreneur,) n’ont pas touché les véritables acteurs  du secteur informel.  Le projet du registre social unique en direction des ménages à faible revenu devant bénéficier des programmes d’aides sociales et de soutiens financiers, n’a jamais pas vu le jour.

Quelles actions ? Quelles perspectives ?

La crise sanitaire, remet sur le tapis les anomalies déjà existantes. Afin d’atténuer l’impact de la crise, les mesures prises dans l’urgence ont concerné d’abord le secteur formel de l’économie - entreprises et salariés. En ce qui concerne les salariés, il s’agit de primes mensuelles de 2.000 dirhams, pour les salariés affiliés à la sécurité sociale qui perdent leur emploi, et le report d’échéance pour les crédits à la consommation).A fin Avril, plus de 900.000 employés ont été déclarés en arrêt de travail opérant dans plus de 134.000 entreprises.

Dans le secteur informel terrassé par le confinement, les mesures- prises plus tard que dans le secteur structuré- concernent 2,3 millions de ménages Ramedistes privés de revenus ; 800 DH par famille en plus de 100 dh par enfant… Le nombre de ménages non Amidistes concernés s’élève à 2 millions, soit au  total, 4,3 millions de familles  et près de 19,7 millions de personnes, si on estime le nombre moyen de personnes par ménage à 4,6 personnes.

La crise sanitaire et économique, a fait remonter à la surface, les faiblesses du  secteur. Elle soulève la question des actions et des  reformes en profondeur à mettre en place, tant au niveau du secteur informel que sur le plan global , par la reconsidération du modèle de développement actuel , sachant que les diverses dimensions sont interconnectées .

Le secteur informel, dans un contexte de crise,  sera appelé à se consolider.La pandémie laisse craindre une montée du chômage, de la pauvreté et des inégalités Les faillites des entreprises (57% des entreprises en états d’arrêt selon le HCP), les licenciements, les arrêts temporaires dans nombre de secteurs(tourisme, l’hôtellerie, la restauration, le commerces, les BTP) en particulier parmi les très petites entreprises,  en plus de la sécheresse dans le monde rural, vont selon toute probabilité, accroitre les taux de chômage et propulser nombre de travailleurs dans l’informel, qui deviendra ainsi le réceptacle principal de ces catégories à la recherche de revenus de vie ou de survie. Jusqu’à fin avril, on estime que plus de 900 000 salariés sont en arrêt d’activité.

Dès lors, la relance devrait intégrer le secteur informel et devrait s’inscrire à la fois dans le plan de relance de l’offre que de celui de la demande.

Compte tenu de l’hétérogénéité du secteur, il s’agit de distinguer entre les catégories les mieux loties et les moins bien loties. Il s’agit de mettre en place des politiques, à la fois pour les plus démunis du secteur informel- les activités de survie- que pour les petites entreprises qui présentent quelques potentialités et pour lesquelles, aucunemesure de soutien n’a été prévu en tant qu’entreprises (petits artisans dans différente branches, petits services de réparation, petits producteurs, petits commerçants)

Pour les activités de survie, il s’agit de mettre en place les moyens pour assurer une protection aux plus démunis et lutter contre la précarité des travailleurs de l’informel. Dans ce sens, une protection sociale minimale prenant la forme de revenu minimum (tel que ceci était prévu, il y a quelques années par le registre social unique), apparaît nécessaire. La crise sanitaire a montré l’importance pour l’Etat d’assurer une protection sociale pour la population, pour minimiser les chocs et éviter une crise sociale. Il s’agit de la rendre permanente en la prolongeant au-delà de la période de confinement.  Dans la plupart des pays le débat est ouvert.

Du coté des micro-entreprises, pour lesquelles rien n’a été prévu, en tant qu’entreprises dans le cadre de la crise sanitaire, il s’agit de prévoir des actions qui ne soient pas uniquement des actions de lutte contre la pauvreté, mais de véritables politiques de promotion, permettant de lever les contraintes qu’elle vivent, et qui s’inscrivent dans la perspective du nouveau modèle de développement. La trajectoire de certains pays asiatiques pourrait inspirer.

Plusieurs questions se posent. S’agit-il de « lutter contre l’informel » plutôt que de renforcer la complémentarité entre secteur formel et informel ? S’il est nécessaire d’agir sur l’offre (accès aux crédits, aux matières premières)n’est-il pas approprié d’agir également sur la demande (sur l’environnement des micro entreprises) ?

Quelles politiques appropriées envers la main d’œuvre ?

Enfin, plus globalement, toute politique à l’égard du secteur informel suggèreunereconsidération, un « dé confinement » du modèle de développement actuel, en intégrant les autres formes d’organisation dites informelles, les micro institutions à côté du marché et de l’Etat (comme ceci est le cas notamment de la croissance asiatique).