Pour un Maroc des émergences : Des mutations à la nécessité d’agir autrement

Dans un monde qui bouge en permanence, la notion de développement, surtout dans un pays qui prétend y adhérer, n’est guère éloignée de celle de survie ; il est fondamental d’en avoir les clés pour s’adapter en continu. Savoir s’adapter ne vise pas à résister à des forces qui échappent à tout contrôle, mais signifie plutôt être capable de se réinventer. Pour l’équipe qui a porté ce travail sur le développement du Maroc, un développement inclusif et pérenne, l’idée d’éditer une liste de diagnostics des différents problèmes et proposer des recommandations qui tendent à y remédier ne constituait pas l’approche adoptée.
Cette démarche, au contraire, a tendance à décourager la vraie réflexion. Même si des états des lieux ont été convoqués pour étayer les problèmes de croissance, ou les questions liées aux inégalités sociales et économiques, ils n’en sont pas pour autant les principaux éléments structurant les finalités de ce travail.
Si se réinventer est « bifurquer1 », il en aura été de même pour la méthode utilisée dans la réflexion menée par le collectif de travail. En effet, la réflexion a d’abord portée sur le développement dans sa globalité et sur ses singularités multiples qui l’animent, et non sur une parcellisation des thèmes associés. L’effort aura été de trouver des axes, ou principes forts, centraux qui découlent en même temps des réalités liées aux transformations et dynamiques mondiales, et d’enjeux plus localisés, plus situés dans les contextes marocains, comme autant d’écosystèmes qui s’inscrivent dans un métasystème. Bien entendu, en prenant appui sur des recherches académiques et sur l’analyse de rapports et d’études, nous avons choisi de construire une nouvelle réflexion sur le développement du Maroc avec, comme pierres d’achoppement, des exceptions positives.
Ces dernières sont vues comme des expériences ou initiatives probantes, nommées « émergences » dans ce travail, et qui ont comme intérêt de faire apparaître des facteurs cachés dont l’influence n’a peut-être pas été envisagée par les diagnostics conventionnels. L’originalité assumée de cette démarche dans l’exercice d’une proposition d’un nouveau projet de développement tire sa source dans l’essence même de la notion : globale et englobante, polysémique et polymorphe, synthétique et émergente. En somme, une notion complexe. Le concept du développement peut s’analyser en effet par découpages thématiques analysables (principe des diagnostics juxtaposés), mais ce serait occulter la dynamique des émergences, de ce qui fait sens dans le temps et dans l’espace des acteurs qui le portent, et qui en partagent les principes. Le terme d’émergence est utilisé ici à dessein, car il constitue un concept clé de la systémique, et de notre approche.
Aux frontières des intersections des systèmes, ou à la rencontre des interactions riches de sens se profilent ces émergences comme autant de nouvelles trajectoires dans un monde des possibles. Nous avons documenté lesdites expériences ou initiatives qui ont démontré qu’il existait justement un chemin des possibles, conception qui aurait pu passer à la trappe, tant les présupposés sur les systèmes qui régissent le développement au Maroc souffrent de cette image sclérosée qui entraînent des replis ou des découragements face à des forces empêchant toute forme de développement, aussi localisé soit-il.
Cette approche par les exceptions positives se justifie par ailleurs dans la dynamique et la nature même du développement, à savoir par la complémentarité entre des politiques mondialisées, politiques macroéconomiques et macro-sociales, et des actions localisées d’où naissent les émergences qui créent et entrainent à leur tour des modifications dans les modalités de l’agir et du penser. Si la question du développement a toujours été complexe tant au niveau de sa conception que de son déploiement, elle a d’abord été entrevue dans son évaluation et sa mesure par le prisme strictement économique, à travers des indicateurs quantitatifs. Mais, son objet a évolué ces dernières décennies puisqu’elle englobe d’autres dimensions, telles que les enjeux de préservation de la biosphère et de la biodiversité, pour s’inscrire dans une acception plus large, celle du développement durable.
Encore une fois, raisonner et agir selon la vision de Bruntland2 incite à mieux appréhender les complexités : entre enjeux immédiats et futurs, entre générations d’aujourd’hui et de demain, entre le penser global et l’agir local. L’analyse et l’intégration nécessaires de ces complexités devant, bien entendu, être comprises dans l’entrelacs des mutations et des tendances mondiales agissant comme un ensemble de forces, de contraintes ou d’opportunités, et opérant, par là même, une reconfigurations des systèmes, et donc de nouvelles trajectoires pour le développement.
En effet, « penser le Maroc » comme un système autonome, distinct n’a guère de sens, car même si ce système dispose d’une autonomie (très) relative, les multiples liens, connexions, dépendances qui lient le pays au monde interdisent toute approche qui en ferait un objet distinct, séparé du reste, justiciable d’un traitement « particulariste ». Que l’on pense aux flux financiers, économiques, humains, logistiques, technologiques, touristiques, migratoires, informationnels qui irriguent le pays, la prise de conscience des interférences incommensurables qui proviennent d’ailleurs et qui nous traversent n’en sera que plus grande. On ne peut ainsi penser un projet de développement pour le Maroc que dans ses multiples liaisons et articulations tant avec ses propres dimensions internes (historiques, géographiques, culturelles, politiques, sociales, économiques, religieuses…)
qu’avec les processus mondiaux.
Dans l’incertitude qui plane sur les politiques et les choix en termes de développement, il convient tout d’abord d’identifier, avant de centrer l’analyse sur le cas du Maroc, ces mutations qui cristallisent les nouveaux enjeux mondiaux, les grands débats ; en somme, les problématiques globales auquel un pays comme le Maroc ne pourrait être exempt de chocs asymétriques, au vu de ses vulnérabilités.
Les thèmes abordés ci-dessous ne faisant pas l’objet d’une hiérarchie délibérée, seule l’interrelation de ces derniers consolidera la pertinence de la réflexion.

Pour lire et télécharger le working paper complet merci de cliquer sur le bouton télécharger à gauche