Y. M. Boutang : le système financier pris à son propre piège

Y. M. Boutang : le système financier pris à son propre piège

Au départ, une crise du «logement social»

Les subprimes (prêts hypothécaires) n’ont pas été conçus pour soutenir le secteur immobilier mais pour répondre à une absence de logement social financé par l’Etat. Contrairement à une grande partie de l’Europe, les Etats-Unis ont un secteur du logement social insignifiant, développé seulement dans quelques villes. Se posait donc le problème des gens à faibles revenus. Normalement le marché ne loge que les gens qui ont un apport financier d’au moins 20% de l’investissement, ce qui représente des garanties suffisantes pour le remboursement, aux yeux des sociétés de crédit. Voilà qui permettait l’accès à la propriété de la moitié de la population mais pour la seconde moitié, c’était beaucoup plus difficile. Les subprimes sont donc une invention qui consiste à permettre à des ménages qui représentent un grand risque de défaillance d’emprunter à des taux plus élevés, (8% au lieu de 6%) et d’accéder à du logement social dans un système (américain) où le social compte pour rien.

 

La droite et le mythe de la propriété

Pourquoi les Etats-Unis ont-ils développé massivement ces programmes? C’est énoncé très clairement par Alan Greenspan, l’ancien président de la Fed, et par d’autres personnes dans les sociétés américaines de dérégulation. Le meilleur moyen de mettre la gauche sur la défensive, c’est de proposer à tous l’utopie de la propriété. La droite vend partout ce rêve-là. Greenspan reconnaît que, pour soutenir le capitalisme, il faut un grand nombre de propriétaires. Pour que cela marche et pour que, par miracle, des gens qui n’ont pas les moyens de payer puissent le faire, il faut que soient réunies plusieurs conditions, dont un marché très dérégulé. Il faut aussi que l’immobilier soit à la hausse. Cela permet aux gens qui s’engagent sur des montants  extrêmement élevés de voir  la valeur de leur logement doubler, par exemple en 2 ou 3 ans, avec un prêt qui lui porte sur 20 ou 30 ans. Les emprunteurs sont gagnants puisqu’ils peuvent récupérer au-delà de la mise de départ, très vite, d’autant plus que les autorités financières ont réinstauré une règle bannie depuis la crise de 1929, qui permet aux emprunteurs de ne rembourser le capital qu’à la fin du prêt, et qui surtout les autorise à ne rien payer pendant les deux premières années. Quand on triche sur les revenus, qu’il n’y a plus d’apport personnel et que les gens peuvent s’engager sur des montants qu’ils n’ont absolument pas, et revendre leurs appartements avec le crédit hypothécaire qui va avec au bout de 2 ans en ayant gagné de l’argent en plus, il ne faut pas s’étonner de la débâcle qui s’ensuit.

 

L’effet boule de neige de la titrisation

En quoi la titrisation est-elle responsable de ce qui s’est passé ? Que s’est-il passé ? Les banques, au lieu de garder dans leurs comptes, des débiteurs insolvables, ont fabriqué des titres dans lesquels elles ont mélangé les créances douteuses avec d’autres plus sûres. C’est la question du mélange qui est très importante. Ainsi, les titres englobaient plusieurs blocs d’emprunteurs : on a appelé « prime » les réglos,  seniors les quasi sûrs, avec une notation  triple de celle des primes et on a baptisé « subprimes », les emprunteurs à risques, auxquels on a alloué, en cas de défaillance, des cœfficients de remboursement beaucoup plus élevés. Ce système permet de fabriquer des produits hybrides destinés à être vendus sur le marché financier. Grâce à ces produits complexes, la banque se débarrasse de ses créances, puisqu’elles ne figurent  plus dans son bilan, et gagne au passage des ressources, parce que le mécanisme de titrisation permet de prélever à chaque fois des commissions. C’est pour cette raison que les banques sont passées par des courtiers qu’elles ont payés pour placer des emprunts auprès de toutes les couches sociales, même les très pauvres. Ces intermédiaires ont eu intérêt à vendre le maximum d’emprunts possibles dont la banque, elle, avait intérêt à se débarrasser le plus vite possible…

 

Comment le système financier a-t-il été pris au piège ?

Il y a bien évidemment quelque chose de pervers dans ce système: il faut pousser le marché de l’immobilier à la hausse pour générer la possibilité croissante d’élargir l’assiette de ceux qui peuvent prétendre se loger. Théoriquement, toute la mécanique fonctionne dans un sens positif, mais il suffit que l’immobilier baisse et que les actions commencent elles aussi à baisser pour que surviennent la défaillance des subprimes. Or, comme ces crédits hypothécaires représentent un énorme volume, les banques, quand bien même elles saisissent les appartements hypothéqués - un million (sur 12) l’ont été aux Etats-Unis - et en inondent le marché, ne trouvent plus à les revendre, ce qui accentue la baisse de l’immobilier… Or, aux Etats-Unis, la comptabilité des entreprises, notamment celles des établissements financiers, a été révisée de telle sorte que, lorsqu’elles récupèrent des immeubles, ce n’est pas la valeur historique d’acquisition qui est prise en compte  mais celle en cours. Voilà qui déclenche une dévaluation des actifs des banques qui, de plus, ont peur d’expulser les gens de leurs maisons.

 

Les dommages collatéraux de la déréglementation

Commençons par évacuer un gros malentendu. La déréglementation n’est pas l’absence de règles. Rien de plus réglementé que la déréglementation ! Rien n’accumule plus de règles aussi précises, allant de la comptabilité à la légalisation de certains produits, que le système néolibéral ! Par ailleurs, il faut savoir que la croissance phénoménale accumulée sur le plan financier durant les trente dernières années n’est pas simplement le fruit de la croissance bancaire, mais provient essentiellement des paradis fiscaux. Tous les établissements qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que les banques se sont créés dans l’interstice entre la mondialisation productive financière et son besoin énorme de liquidités. Bien sûr, les paradis fiscaux ne datent pas d’aujourd’hui. Mais la nouveauté consiste en l’étendue des capitaux qui y migrent. Au fond, le système financier se régule avec la soupape  de cette immense masse d’argent échappant aux cadres réglementaires et de ces flux de liquidités illégales (drogue, prostitution …). En fait, chaque grand pays a son paradis fiscal (Monaco pour la France, Andorre pour l’Espagne, le Liechtenstein pour l’Allemagne, les îles Jersey pour l’Angleterre …) qui recycle tout.

 

Les collectivités locales emportées par la vague

Dans les pays européens, dans au cours des quinze, vingt dernières années, beaucoup de gros dépôts et beaucoup d’épargne ont permis à des personnes, des collectivités et même des Etats, comme l’Islande, d’accroître leurs revenus en s’adossant au système financier. Les titres, type subprimes, auxquels ils se sont adossés, les attiraient parce qu’ils pouvaient rapporter gros, un peu comme les junk bonds (littéralement, obligations pourries) des années 80. Plusieurs collectivités locales qui devaient s’endetter pour financer leurs plans de développement, se sont tournées vers ces produits. C’était comme jouer au casino pour essayer de gagner plus ! En Norvège par exemple, une collectivité pouvait placer de l’argent liquide à 4 %, mais a préféré le faire à 8 et 10 %, à l’aide de la titrisation. Résultat, elle est aussi touchée de plein fouet par la crise des subprimes. Certaines collectivités allemandes sont menacées parce qu’elles détiennent des actifs dégradés, comme les fonds de pension américains, ce qui les soumet à un risque de faillite. C’est ce qui explique la volte-face d’Angela Merkel. Au départ, elle était contre le plan européen et, depuis la faillite de la banque de l’Etat de Saxe qui nécessite une recapitalisation à hauteur de deux fois le budget, elle s’est ravisée…

 

Vers un capitalisme mixte

La propension à la souveraineté réapparaît à travers les fonds souverains et dans la réaction de certaines grosses entreprises. Il y a quinze ans, celles-ci sont allées en Bourse parce que c’était le seul moyen pour elles d’obtenir du capital et d’éponger leurs dettes. Maintenant qu’elles ont eu des capitaux, elles souhaitent en sortir.  Les top managers savent que, s’ils sont à la Bourse, ils ne peuvent pas mener de stratégies  secrètes, sont soumis au diktat des actionnaires et la proie des OPA. Au fond, les marchés sont trop transparents et démocratiques au goût d’un certain nombre d’agents qui souhaitent revenir à l’anonymat, à l’arbitraire et à la souveraineté. Par exemple, les fonds souverains chinois et qataris agissent dans la plus grande discrétion et n’aiment pas beaucoup la publicité qui leur a été faite. Aussi les entreprises les plus puissantes envisagent-elles de plus en plus de sortir du marché financier. C’est le retour tentant à l’opacité. Tous réalisent que la supervision des marchés est beaucoup plus compliquée que la supervision de l’Etat. Aujourd’hui, le passage brusque et mal digéré de la régulation de l’Etat à celle des marchés annonce une transition vers un capitalisme mixte qui va essayer de mêler le côté reporting, très précis, aux formes de régulation de l’Etat soumis à la pression démocratique.

 

Pas de New Deal à l’horizon

Le niveau d’investissement produit par la finance est énorme mais manque d’orientations. L’absence de lisibilité, de politique publique et d’un consensus mondial sur les grandes orientations en terme de développement (ex : innovation technique, savoir, écologie..) fait que toute cette liquidité, créée à travers peu de dépôts, ne sait pas où s’investir. Du coup, elle est injectée dans des produits à très court terme et va spéculer sur les marchés en créant une instabilité croissante. La crise est liée à une instabilité profonde et à une crise de confiance sur le modèle de développement à long terme. Au moment du New Deal, on a rapidement su ce qu’il fallait faire aux Etats-Unis (des routes, des barrages…). Aujourd’hui, il y n’a pas ce consensus et pas de ligne claire pour créer un plan de développement solide qui capitaliserait sur l’accumulation des ressources.

 

Entre sauvetage financier et choix d’investissement

Aujourd’hui, aux Etats-Unis, le plan Paulson, qui comporte 700 MM$ est-il suffisant ? Il en faudrait  le  double pour consolider les banques, car il y a 44 milliards de cartes de crédit qui génèrent des dérivés. Le Trésor américain veut aider l’industrie américaine. Pendant la crise, un plan fédéral américain proposait de donner 70MM$ aux trois grands constructeurs américains qui ont un problème de financement de la protection sociale : ces derniers en ont exigé 180. Or, l’Etat américain ne peut pas tout faire. Il ne peut donc pas éviter la « sidérurgisation » de l’industrie automobile. Aujourd’hui, la recherche et le développement, la connaissance pour créer un développement durable, nécessitent de réels investissements autour du protocole de Kyoto. Les fonds alloués actuellement ne suffisent pas. C’est comme les 3% de PIB pour la recherche, il en faudrait 10% !

 

L’Europe fédérée face à la catastrophe

Le passage d’une crise de liquidités à une crise interbancaire provient du fait que les institutions financières doutent de la solvabilité des unes et des autres. La banque fédérale américaine ne peut pas intervenir, mais a la latitude de créer de la monnaie. Elle peut placer des bons du Trésor ou faire marcher la planche à billets. En cela, elle est avantagée par rapport à son homologue européenne. Actuellement, le drame de l’Europe, c’est que la BCE commence à peine à intervenir sur la solvabilité. Elle vient d’accepter le 20 octobre de  faire payer aux banques un taux correct en admettant des actifs de type subprimes. Par contre, elle ne peut pas créer de monnaie par emprunt, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas lancer un emprunt sur l’Euro. Elle n’en a pas le droit car on est dans une structure confédérale et non fédérale. Le comble est que les Etats n’ont pas le droit de faire de la monnaie. Du coup, ils s’endettent. Il a donc fallu une catastrophe pour que s’organise une réponse européenne qui renforce les pouvoirs de la BCE. Cette situation explique le revirement de la Grande-Bretagne: La BCE va accepter des crédits libellés en dollars et en livres sterling, ce qui signifie que la Livre sterling va rejoindre l’Euro.

 

Vers un nouveau Bretton Woods ?

Un Etat qui ne détient pas la monnaie de réserve du monde entier ne peut pas recourir à l’émission de billets à volonté, parce que la contrainte de change l’oblige à la conversion, et rien ne dit que ses créanciers voudront autre chose que des devises étrangères. Le Dollar étant la monnaie de réserve, les Etats-Unis peuvent imprimer le nombre de billets qu’ils veulent. Mais il y a le risque qu’il se dévalue de 60 ou 75% comme Lehman Brothers, dont l’action était à 70 dollars et a subitement chuté à un dollar. Dans ce cas, on se retrouverait devant une crise financière majeure. Et c’est pour cette raison que tous les Etats parlent de revoir le système monétaire. Si les marchés ont voté pour un fédéralisme européen, c’est parce qu’en détenant des Hedge funds ou des fonds souverains, la seule chose qu’ils souhaitent c’est la sécurité. D’où l’idée d’avoir deux monnaies de réserve, au lieu d’une seule. De cette manière, il y aurait un effet de balancier entre l’euro et le dollar et les liquidités seraient protégées, ce qui donne aux marchés un pouvoir de bargaining (marchandage). Ils peuvent, alors dire aux Américains, «si vous allez trop loin, nous convertissons une partie de nos réserves en euros», et a contrario, ils peuvent dire à l’Europe : «vous n’achetez pas assez sur le marché mondial, donc nous achetons plus de dollars et moins d’euros ». Pour pouvoir agir ainsi, il faut que l’euro soit une monnaie de réserve mondiale et, pour ce faire,  la BCE doit pouvoir emprunter sur le marché des capitaux et lancer des bons du Trésor libellés en euros, ce qui permettra d’en freiner la hausse. Lors des accords de  Bretton Woods, justement, les Américains avaient refusé de créer une monnaie mondiale avec des tirages spéciaux liés à des investissements, écologiques, cognitifs ou sociaux. Le temps est propice pour remettre la proposition sur la table, avant que le dollar ne dévisse complètement et ne ruine tout au passage.

 

La Chine, pas si avantagée que cela

La Chine commence s’inquiéter du remboursement des bons du Trésor américain à long terme. Sachant qu’elle ne détient que du papier, elle regarde de très près si les capitaux se sont portés sur des emprunts à très court terme pour financer le remboursement de la dette. La vraie question, ce sont les droits de tirage spéciaux, la création monétaire qui doit  être autorisée aux Etats du Tiers monde. Initialement, la Chine avait comme possibilité de développement de vendre ses biens manufacturiers sur le marché mondial. Quand s’est présenté à elle le schéma des ménages moyens américains qui achètent chinois, elle a fait un choix commercial où l’Amérique est centrale. Or, à partir du moment où ce ressort est cassé, le problème commence à devenir grave pour la Chine et les pays du Tiers monde. Entendez, la chute brutale de la demande des pays du centre aura un effet puissant parce que ni la Chine, ni l’Inde d’ailleurs, n’ont un marché intérieur solvable.

Comparons les chiffres. Les Etats-Unis font un PIB de 13 MMM$ par an, alors que celui de la Chine avoisine les 4 MMM$, dépassant à peine le PIB français et n’atteignant même pas celui de l’Allemagne. Si la Chine ne peut plus compter sur la capacité d’endettement du système américain, elle est obligée de booster le marché intérieur et d’assurer de meilleures salaires et une réelle protection sociale. Il faut savoir que ce pays compte 1,8 MMM dollars en réserve internationale et que seuls 400 millions de Chinois installés dans les régions côtières assurent la demande interne. Le modèle de développement par l’exportation reposant sur l’exploitation, qui prévaut aujourd’hui en Chine, fait penser au Japon de l’ère Meiji  (de 1853 à 1914) qui était devenu la manufacture du monde avec des objets de faible qualité. La guerre a tout changé.

 

Le discours sur l’économie réelle menace les délocalisations

Il y a un discours actuel qui affirme qu’on est allé trop loin dans la mondialisation, que le confédéralisme européen est catastrophique, parce qu’il dessert les Etats. Alors, quoi ?  On  arrête l’expansion européenne, on arrête l’entrée de la Turquie, on bloque l’Europe maintenant avec toutes  les conséquences qui s’ensuivent, on relocalise les usines ? L’histoire nous apprend qu’à chaque fois que le commerce mondial se rétracte, c’est la guerre qui s’ensuit. Il y a eu trois dépressions très fortes. Celle de 1857, qui fut déjà une première grande crise monétaire, a présagé la guerre franco-prussienne de 1870. L’énorme dépression de 1893 s’est soldée par le cloisonnement des empires, menant à la guerre de 14-18. Enfin, face à la grande crise des années 30, le New Deal n’a suffi à tirer l’économie et a relancé la machine de guerre.

N’oublions pas que la machine économique américaine ne s’est pas mise à tourner à plein régime qui à partir de l’entrée en guerre des Etats-Unis au Moyen Orient. N’oublions pas non plus qu’on a frôlé la catastrophe cet été en Géorgie. Tout cela est lié à l’absence profonde de consensus sur la façon d’accumuler du capital. Et une des pires réactions que l’on voit surgir en Europe, consiste à dire que toute la finance nous a trompés, comme ce fut le cas pour la finance internationale juive dans la crise des années 30. Aujourd’hui, le discours sur l’économie réelle et irréelle peut provoquer une réaction très forte contre l’économie de la connaissance, et favoriser des relocalisations d’usines… Ce serait une catastrophe pour le Sud, mais aussi pour le Nord.

 

La Russie, imprévisible et les pays du Sud, menacés

Tout ce que j’ai dit sur la situation de guerre qui suit les récessions, devient encore plus imminent dans des économies rentières comme celle de la Russie. C’est tout de même le seul pays dont le Premier ministre ferme la Bourse quand rien ne marche. La prospérité russe, contrairement à ce qu’on en a dit,  ressemble à celle d’un Etat comme l’Algérie. Elle repose essentiellement sur la production de gaz. Ces  rentrées d’argent provenant de l’énergie expliquent un boom de l’immobilier, semblable à celui des USA, avec des spéculateurs, des courtiers et des hedge funds, donc une prospérité énorme. Or, aujourd’hui, on estime que la moitié de ces fonds pourris vont mourir. Ceux qui détiennent 260 milliards de créances par leurs investissements vont devoir en rembourser 700M, avant le 31 décembre. Il est donc très vraisemblable qu’ils se retirent de l’investissement, notamment dans les pays du Tiers monde. Il va donc falloir que les Etats des pays du Sud se préparent pour protéger le capital manufacturier qui est un gage de développement très important pour eux. Il va aussi falloir qu’ils se préparent à des prises de  participation, d’où la nécessité d’avoir une abondance de trésorerie. Il leur faudra alors demander au FMI de leur donner des droits de tirage spéciaux, car s’ils financent leur développement sur la base de l’argent tiré de leurs exportations, ils ne vont pas pouvoir le faire autant, car la valeur de ces dernières va baisser.

 

Le capitalisme financier est vital pour le développement

Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est qu’on a fondé un système qui tient le coup et qui va continuer d’exiger des liquidités phénoménales. Or, on ne pourra pas se passer de la finance parce que ses mécanismes sophistiqués, à la grande différence du crédit classique bancaire, constituent un multiplicateur de dépôt de 1 à 6. L’Etat, quant à lui, n’a pas de limite à la création monétaire, c’est-à-dire qu’il n’a de limite, que s’il a du crédit, mais ce même Etat peut quand même se libérer de la tyrannie des dépôts. Or, pour faire une politique de développement, il a grandement besoin d’un multiplicateur toléré qui irait de 1 à 5.

Le problème réside dans l’usage fait de la finance. Multiplier, comme dans le cas des subprimes, les dépôts entre 32 et 37 fois, et créer des dettes qui n’ont pas de très fortes chances d’être remboursées, c’est franchir la limite de la tyrannie des dépôts. Le développement, c’est de prêter à des gens qui n’ont pas d’argent, en supposant qu’ils vont en avoir, ce qui va leur permettre de sortir de la pauvreté. Ce besoin-là de la finance va exister d’autant plus que le présupposé «il y a trop de liquidités qui circulent» est faux. Il faut donc que les banques soient de plus en plus sévères dans l’attribution des prêts. Les Etats, par contre, ont besoin de tellement d’investissements, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la connaissance et de la recherche, qu’ils ne peuvent se permettre de restreindre la liquidité et d’avoir un discours catastrophique pour le développement. Il va falloir batailler pour que, sous l’autorité des Etats, un investissement ait lieu avec les outils de la finance et que des liquidités surveillées soient encadrées pour servir un plan de développement global.

 

L’interconnexion de la crise exige un plan de sauvetage politique

Je pense qu’on est dans une crise systémique, c’est-à-dire que tous les aspects sont liés les uns aux autres. L’approche de Paulson, le plan de Brown et celui des 15 pays européens, puis la démarche de la banque du Japon, tout cela résout à peine la moitié du problème. L’autre partie, c’est la confiance dans le futur, la monnaie et le crédit. Quel prix mettre sur le futur ? C’est là que se posent les solutions écologiques, la question d’un New Deal social  réel, qui viendrait répondre à la répartition inégalitaire des revenus, puis la question cognitive, c’est-à-dire la mutation du capitalisme en vue de liquider les secteurs qui sont en train de détruire la planète. L’interconnexion des choses fait que le Sud va avoir besoin de liquidités, de façon plus importante que le Nord, parce que toute la prospérité qu’il a accumulée avait pour gage les capitaux d’investissement sur le développement  industriel. L’expérience montre, comme dans les années 30, que lorsqu’il y a une période de dépression comme celle-ci, les gens se mettent à consommer. Il faut qu’on pense au futur, sinon la crise va continuer sous une forme larvaire. C’est ce qu’on appelle un New Deal hémiplégique, technique, qui ne va pas rassurer les marchés pour autant. Il ne faut pas sous-estimer les marchés, c’est-à-dire les marchés au sens des investisseurs qui ont du capital. Ils peuvent le mettre partout dans le monde. Or, que se passe-t-il actuellement ? Ils sont dans une crise de confiance parce qu’il n’y a aucune proposition politique qui puisse dégager l’horizon du possible et du faisable. Des pays du Sud, qui se sont ouverts au système financier international, comme le Maroc, ne peuvent plus se contenter des crédits internationaux privés, grande nouveauté de la mondialisation. Dès l’instant où ces pays sont confrontés au risque de retrait d’investissements, la question qui se pose à eux est d’obtenir du FMI des droits de tirage importants. S’ils restent tributaires du circuit international privé, ils n’auront aucun rôle stabilisateur et risquent de sombrer dans le non-développement.

 

Qu’est-ce que les droits de tirage spéciaux ?

Les Droits de tirages spéciaux (DTS) sont un instrument de réserve international créé par le FMI en 1969, pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Ils sont alloués aux pays membres proportionnellement à leur quote-part au FMI. Le DTS sert aussi d'unité de compte au FMI et à certains autres organismes internationaux. Sa valeur est déterminée à partir d'un panier de monnaies.

Le DTS n'est pas une monnaie, et ne constitue pas non plus une créance sur le FMI. Il représente une créance virtuelle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI. Sa valeur initiale est de 0,888671 gramme d'or fin, valeur du dollar à l’époque de Bretton Woods. Depuis la crise de 1973, le DTS est déterminé par rapport à un panier de monnaies, (Dollar, Euro, Livre sterling et Yen). Cette composition est revue tous les cinq ans pour veiller à ce que la pondération des monnaies rende bien compte de leur importance relative dans les échanges et les systèmes financiers internationaux. La prochaine évaluation aura lieu en 2010. D’ici là, les économies n’auront qu’à s’adapter.

Source : www.imf.org