Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’innovation

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’innovation

Auteur : Thomas Loilier ET Albéric Tellier

Thomas Loilier et Albéric Tellier décryptent avec minutie le processus d’innovation pour permettre de s’en emparer.

C’est un « facteur clé de la compétitivité des entreprises ». L’innovation a fait l’objet d’une recommandation de la Commission Européenne à ses Etats membres, leur enjoignant en 2002 de consacrer 3 % de leur PIB à la Recherche et au Développement. L’investissement privé, lui, n’a cessé d’augmenter : en 2011, les mille entreprises mondiales cotées ont investi 603 milliards de dollars en Recherche et Développement, contre 550 en 2010 et 503 en 2009. De nombreux travaux y ont été consacrés. Thomas Loilier et Albéric Tellier, tous deux enseignants à l’Université de Caen Basse-Normandie, le premier spécialisé dans les coopérations innovatrices et le second, dans la stratégie et la gestion de l’innovation et les situations de compétition technologique, font un bilan de l’état des connaissances sur cette question centrale étudiée sous tant d’angles différents. « Gérer l’innovation, c’est admettre la coexistence et parfois l’affrontement de logiques et de rationalités contradictoires qui imposent des arbitrages délicats : un projet innovant est toujours un pari sur l’avenir, un voyage dont l’itinéraire n’est jamais précisément fixé. » Aussi leur approche reflète-t-elle les différentes « tensions paradoxales » qui traversent le processus d’innovation.

 

Un processus collectif et complexe

La première partie, « Comprendre le processus », se penche sur ce qu’est l’innovation. Les auteurs en recensent les différents types ; (innovation de prestation offrant un produit ou un service qui constitue une nouveauté par rapport à l’offre existante, innovation de procédé, comme le remplissage en continu des briques de lait…), les différents degrés (innovation incrémentale, radicale ou de rupture), leur impact au niveau du modèle d’affaires de l’entreprise, le choix que celle-ci doit faire entre la logique d’exploration et celle d’exploitation en termes de gestion des risques financiers mais aussi humains liés à la résistance au changement…. « Le processus d’innovation doit donc être perçu comme un processus global d’activités créatrices technologiques et commerciales ». Puis les auteurs reviennent sur l’histoire et se penchent sur les cycles de développement technologique, en saluant les travaux de l’économiste autrichien Joseph Schumpterer (1883-1950), le « père fondateur de l’économie de l’innovation » qui en a défini les phases : celle de l’expansion et celle de la dépression, où naissent les « grappes d’innovations » qui permettront la relance. Ils rappellent qu’« une technologie ne s’impose que si elle est cohérente avec le milieu qui l’accueille » : « On explique le non développement de la voiture volante par l’extrême complexité à développer un écosystème propice », alors qu’elle a été testée dès 1928 par Henry Ford. Ils brossent un panorama du système technique du XXIe siècle (biotechnologies, nanotechnologies, etc.) et évoquent les compétitions entre technologies. Ils décryptent ensuite les stratégies d’innovation pour se positionner ou bouleverser un marché (stratégie du premier sur le marché, du suivi de leader ou du « moi aussi »), leurs rythmes, la complexité de la relation entre innovation et ressources, à travers les tensions sécurité/compétitivité, gestion/transformation, émancipation/programmation, ainsi que la théorie de l’ambidextrie, qui plutôt que de choisir entre exploration et exploitation, préfère l’innovation en continu. Enfin les auteurs se penchent sur la diffusion et la protection de l’innovation. Ils regrettent le peu d’intérêt de la littérature pour les mécanismes de diffusion, qui pourtant permettraient « d’identifier et de déployer les actions propices à son développement commercial ». Ils étudient les avantages et les critiques faites à la diffusion par contagion et à celle par intéressement et rappellent les principes de la propriété industrielle, l’intérêt et les limites du brevet. Ils insistent sur la nécessité de savoir « trouver le bon niveau de protection » et évoquent les logiciels open-source.

Dans une seconde partie, Thomas Loilier et Albéric Tellier abordent les aspects plus concrets du pilotage du processus d’innovation. La Recherche et Développement, rappellent-ils, ne concerne que très rarement, dans les entreprises, la recherche fondamentale, qui relève surtout du public : il s’agit principalement de « recherche appliquée qui peut se définir comme une recherche scientifique entreprise dans le but de résoudre des problèmes spécifiques d’usage pratique ». Ils en présentent les différents modèles, en interne, sur un modèle collaboratif ou ouvert, et en décryptent les conséquences organisationnelles (par fonction, par projet, ou matricielle), les implications en terme de leadership et de propriété industrielle, les modalités contractuelles. Ils se penchent notamment sur la question du crowdsourcing : « Si certains mettent en avant les potentialités énormes de cette mise en relation d’un nombre gigantesque d’individus (en terme de créativité, de résolution de problèmes…) d’autres pointent les logiques de diminution des coûts qui président souvent à la mise en place de ces dispositifs d’intermédiation et les dangers de ces nouvelles formes d’exploitation », notamment le bénévolat des intervenants. Thomas Loilier et Albéric Tellier analysent ensuite comment organiser l’activité d’innovation, avec les mécanismes de hiérarchie, de management, de gestion du temps, etc. Puis ils abordent les apprentissages et les comportements propices à la créativité, en insistant sur l’importance de la vision, de la stratégie et de la pratique, et en évoquant la question de « l’intrapreneuriat ». Enfin ils resituent l’ensemble du processus d’innovation dans un environnement collectif, via des réseaux inter-organisationnels, des écosystèmes et des territoires conçus et organisés pour favoriser l’innovation. Et ils ne manquent pas de souligner le rôle de l’Etat, y compris dans le cas de la Silicon Valley.

La deuxième édition revue et augmentée de ce livre publié en 1999 est une mine d’informations, avec ses nombreux exemples concrets, présentés dans des encadrés qui retracent l’aventure du Post-it, de la Cracotte, de la Honda NSX, d’Apple ou encore du café en dosettes. Mine d’informations aussi à travers ses 33 pages de bibliographie. Elle sera d’une grande utilité aux chefs d’entreprises, ingénieurs en Recherche et Développement, chefs de projets, etc., ainsi qu’aux chercheurs au carrefour de différentes disciplines : management, marketing, sciences, sociologie et psychologie. Une référence.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Gestion de l’innovation, comprendre le processus d’innovation pour le piloter

Thomas Loilier et Albéric Tellier

Editions EMS, Les essentiels de la gestion, 528 p., 39 €