Repenser notre université dans le monde

Repenser notre université dans le monde

En préambule, je soulignerai que les rapports du Conseil supérieur de l’Enseignement ont  mis l’accent sur deux grands chantiers, également repris par le plan Emergence: les licences fondamentales et l’autonomie des universités.

Le constat d’une réforme

Au bout de six années de réforme, nous sommes arrivés à quelques acquis intéressants. Sur le plan pédagogique, des mesures claires ont vu le jour :

• Une architecture pédagogique qui offre aux étudiants et aux enseignements une visibilité du cursus.

• L’alignement sur le licence-master-doctorat (LMD) a offert une visibilité au niveau international (européen).

• Nouveau système avec «semestrialisation», modulation, contrôle continu et augmentation des  heures contacts avec les étudiants ;

•  La capitalisation des acquis ;

• Une normalisation des enseignements avec des  normes pédagogiques.  

Toujours dans le registre des acquis, avec les filières professionnelles, la réforme a permis une diversification des filières, une adhésion des enseignants à la réforme et une certaine culture des améliorations continues.

Leçons retenues

Il est impératif de tirer des enseignements des efforts entrepris. Il ne s’agit pas de dresser le bilan complet de la réforme mais en tout cas, d’en tirer des apprentissages. Notre expérience révèle un effort à faire au niveau de l’innovation dans les filières fondamentales. Nous avons manqué de professionnalisme dans le domaine de l’ingénierie pédagogique, lors de l’élaboration des filières nationales. Et l’élaboration de ces filières s’est greffée, en général, sur les disciplines classiques qui existaient au sein des facultés, ce qui a entrainé au niveau de la pratique une sorte de reproduction des contenus de l’ancien système dans le nouveau.

L’autonomie des universités a été mise en place par la loi 01/00. La mise en application totale de cette loi tarde à se produire. Notons que celle-ci offre une marge de prise d’initiative qui est importante : une autorité accordée au conseil d’université, conseil d’établissement…, mais le cadre conceptuel de l’autonomie, ainsi que la contractualisation et la visibilité en termes de gestion du personnel et du budget sur une base contractuelle, tardent à se réaliser.

Quant à la recherche, malgré la restructuration et la réorganisation de ce secteur, elle souffre de l’absence d’une politique claire. Le déficit en matière de fonds alloués est alarmant… Et la dualité des interlocuteurs (CNRST et ministère) pour les universités, constitue une entrave à une démarche rationnelle pour promouvoir la recherche.

Des acquis intéressants ont donc été réalisés,  mais il y a nécessité d’accélérer le rythme des changements et d’aller vers une réforme plus profonde, qui prenne en compte le contexte.

Contexte mondial : la crise d’un modèle

Le modèle universitaire américain s’est désormais imposé et met à l’épreuve les autres systèmes, y compris ceux de l’Europe… On compte parmi ses atouts :

• Classements internationaux ;

• Force économique du pays ;

• Attraction des étudiants les plus brillants ;

• Organisation  rationnelle  et performante ;

• Secteur économique impliqué;

• Flexibilité dans la gouvernance ;

• Langue anglaise: langue de l’échange intellectuel ;

En Europe, on remet en cause même le système de Humboldt qui voulait, il y a deux siècles, s’affranchir du système des universités traditionnelles, hérité du Moyen Age, et du système utilitaire qui a été concrétisé en France avec la dualité université / grandes écoles. Humboldt a procédé à un compromis et a pu associer la formation avec le savoir à la formation pour le savoir. Le modèle se base sur l’idée que la formation de l’être humain et la formation pratique sont articulées et associées. Avec le développement de la technologie, même ce système est remis en cause.

Dans tous les systèmes, a régné une uniformisation du discours sur les réformes de l’université et de la rhétorique avec une prolifération des concepts. La professionnalisation, la qualification, l’innovation, la valorisation de la recherche, l’économie du savoir, l’évaluation et l’accréditation … sont devenues des notions récurrentes du discours réformateur des universités à travers le monde. On retourne constamment vers le système américain pour y puiser des éléments de politiques réformatrices.

Je voudrais m’inspirer de Christine Musselin, sociologue de l’enseignement, et de ses cinq scripts qui résument les actions à entreprendre, pour appréhender une issue possible à la crise.

1. Modifier le rôle de l’Etat : passer d’un Etat centralisateur à un rôle régulateur et évaluateur ;

2. Transformer les universités en organisations, en adoptant le modèle de l’entreprise ;

3. Accroître le rôle des parties prenantes (stakeholders), telles que les régions, les collectivités locales, les entreprises, les holdings et la société civile ;

4. S’inscrire dans la logique de la privatisation et dans la prestation des services pour drainer les fonds ;

5. Se placer dans une perspective mondiale au niveau de l’offre de formation et de la recherche.

Les grands défis pour l’université marocaine

Dans le cadre des défis qu’affronte l’université marocaine, il est primordial de revoir le contenu de ses missions : former, enseigner, éduquer et produire le savoir.

La question de l’offre de formation est ici capitale. Nous avons constaté d’importants changements dans les attentes des apprenants. Et l’université se doit d’y répondre. Par ailleurs, l’apparition de nouveaux métiers et l’essor incontestable des nouvelles technologies de l’information et de la communication soulèvent la question de l’adaptation de la formation aux exigences de nouveaux profils. L’université se retrouve devant la nécessité de diversifier ses formations.

La qualité de la transmission des connaissances dépend essentiellement de la manière par laquelle elles sont transmises. Par des méthodes adéquates d’enseignement, on transmet à l’étudiant l’esprit critique, analytique et synthétique, qui stimulent la réflexion et l’intelligence. 50% des enseignants interrogés qualifient le mode d’enseignement au Maroc d’autoritaire et 33% le qualifient d’interactif. La faible maîtrise des langues scientifiques nous pose également un grand défi. Quant au savoir-être de l’étudiant, il doit être au cœur de nos préoccupations. L’enseignant dans tous ces défis doit jouer un rôle déterminant.

Quelles valeurs le message pédagogique doit-il véhiculer ? Seul un système d’évaluation, qui prendrait en compte le récipiendaire et les connaissances transmises, l’étudiant en tant que réceptacle et son avis, fournirait des éléments pour cerner cette question…

Dans ce registre, l’université fait face à de sérieuses menaces : une culture manichéenne, une idéologisation, un discours normatif …

L’université ne réussit donc sa mission d’éducation que si elle arrive à produire un lauréat citoyen, doté d’esprit d’initiative, valorisant l’effort personnel et le travail, muni d’atouts qui lui permettent de s’adapter à un  environnement constamment changeant.

L’université doit donc être engagée dans un processus de changement qui touche le contenu de ses missions et  la manière de les mettre en œuvre dans la pratique.

 

Les services de l’université à l’épreuve

L’université marocaine est appelée à apporter des contributions diverses démontrant une utilité certaine dans son environnement…

La demande et la pression de la société sur l’université pour son développement sont fortes. Plusieurs études montrent que les universités devraient jouer un rôle stratégique dans le développement du pays, et constituer un levier catalyseur du développement. L’université est attendue surtout sur le plan de la production du capital humain. Ceux qui sont capables d’intégrer la technologie, ayant la capacité d’adaptabilité, d’innovation, la capacité de « learning by doing », de créativité, de prise d’initiative et de décision, augmentent leur valeur sur le marché de l’emploi et améliorent ainsi la qualité de l’emploi. L’université est par ailleurs attendue sur le plan de la production des connaissances qui guident l’emploi. Or de nos jours, les diplômes universitaires se réduisent à un moyen de rente dans une économie de rente…

Les approches et les méthodes d’apprentissage utilisées constituent des canaux pour transmettre les principes démocratiques à une génération d’apprenants. Par la production des idées, des théories, des recherches et des études sur les différents aspects de la société, l’université peut devenir un catalyseur des valeurs démocratiques et faire reculer l’autorité de l’intellectualisme. L’université se transforme en un véritable espace de débats…

L’université marocaine appartient à l’aire de la diversité culturelle : amazigh, arabe, islamique, africaine et andalouse. La culture arabo-musulmane souffre aujourd’hui d’une image négative due à la montée des fondamentalismes religieux et au conservatisme qui frappent les sociétés arabes et islamiques… Elle s’impose une exigence de l’ouverture sur les techniques de valorisation… Mais comment faire de l’université un havre de modernité qui valorise la culture ?

Repenser le leadership et les enseignants

Le métier d’enseignant doit répondre aux exigences du monde moderne et aux attentes des étudiants… Le leadership et la gestion des changements doivent être des mots clés… La profession d’enseignant connaît une évolution, par le fait du développement du savoir et celui des technologies de l’information… L’enseignement à distance est en train de changer l’apprentissage et le rôle de l’enseignant en tant que tuteur, ayant un rapport avec l’étudiant à travers le médium des technologies de l’information.

Une étude du CSE montre que 42% des enseignants exercent une autre activité en dehors de l’enseignement au sein de l’université d’attache, et que 19% parmi ceux-ci ont déclaré exercer une activité rémunérée et 36% des activités à la fois rémunérées et volontaires…

Quels sont ces enjeux et défis de la globalisation? 

Il existe désormais un fort écart entre les pays du Nord et ceux du Sud… Au Maroc, on note une faible production de lauréats. Le taux de scolarisation (le taux des jeunes en âge d’être enrôlés dans un établissement de l’enseignement supérieur) n’est que de 12% à 13% ; alors qu’il est de 30% en Tunisie, 25% en Algérie, 46% en l’Europe et de 60% aux USA… Un des défis majeurs que l’université affronte, c’est comment produire la masse critique nécessaire pour le développement du pays et des secteurs porteurs de ce développement, tout en redoublant d’efforts pour atteindre la qualité…

Par ailleurs se pose le problème de la migration des compétences: 13% des Marocains qui migrent ont un niveau d’études élevé (ingénieurs…). Une étude, qui a identifié les 24 pays en voie de développement qui envoient le plus de migrants ayant un niveau d’éducation élevé, mentionne la Jamaïque, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, et le Sri Lanka. .. Quel est le coût économique du phénomène et quel est le manque à gagner ?  …

Dans un contexte de marchandisation de l’éducation et du savoir, les universités publiques affrontent un défi particulier…

Questions et perspectives stratégiques

Très peu d’études et de réflexion sont menées sur l’université au Maroc… Or, elle doit se penser, et repenser constamment ses missions, son fonctionnement et sa pratique : de la pensée à l’action et de l’action à la pensée…

Si la globalisation inspire et instaure un certain souverainisme de la loi du marché  qui appelle au plus compétitif et au plus économiquement fort, le fonctionnement de cette conscience intellectuelle interpelle ceux qui œuvrent pour la maximisation du profit… L’université a pour défi d’offrir des idées nouvelles qui incitent des réformes et des changements des paradigmes de pensée.

La dualité système régulé/système non régulé donne matière à réfléchir… Le système non régulé occupe 75% des effectifs… et la notion de non régulé et de système ouvert a une connotation de laxisme et d’absence de discipline… On se retrouve donc avec un système résiduel et il s’ensuit une hiérarchisation des systèmes en terme de qualité de l’offre de formation…

L’image dévalorisée du système non régulé trouve son illustration à travers ces chiffres : interrogés sur leur préférence quant au choix du système pour leurs enfants, 49% des enseignants ont choisi le système sélectif, 28% l’étranger,  6% seulement le système ouvert (les facultés), 5% le privé, et 12% n’ont pas répondu…A la dualité ouvert/sélectif s’ajoute une  fragmentation disciplinaire. En résulte alors une juxtaposition des disciplines sans  passerelles.

Comment, donc, concilier une massification de l’enseignement supérieur dans les filières fondamentales avec l’amélioration de la qualité ? Quelles sont les modifications  à apporter à l’organisation et aux enseignements des licences fondamentales pour  surmonter les défis de qualité ?

On ne peut y répondre sans aller vers une diversification des filières professionnelles et valoriser les licences fondamentales en apportant des améliorations au niveau de l’organisation et de la conception des contenus, des référentiels, des troncs communs et des passerelles… Une réflexion est déjà lancée sur ce thème.

Interdépendance et universalité sont des termes d’une grande importance dans le monde universitaire d’aujourd’hui. L’université marocaine doit avoir l’ambition et la volonté d’atteindre les standards et les normes internationaux. Cela lui permettra de promouvoir la mobilité des enseignants et des étudiants et peut-être de répondre au dilemme de la fuite des cerveaux…

• La première composante est celle de l’Etat, qui assure un financement  sous forme de subventions  et sur la base de projets compétitifs ;

• Les collectivités locales et régions;

• Les entreprises à travers des contrats, donations et mécénats ;

• Les familles, frais d’inscription ou bourses.

La contribution de l’Etat encore …

La réalité des droits d’inscription pour tous les pays d’Europe ne dépasse pas 10% des rentrées. Il n’y a que le Royaume-Uni où ces droits peuvent atteindre  33%. Le principe de la gratuité de l’enseignement supérieur au Maroc ne permet pas de facturer des frais de formation mais la question de la contribution financière des étudiants se pose avec de plus en plus d’insistance…

Les ressources financières obtenues sous forme de contrats, elles, représentent en France entre 5% et 10%  et concernent surtout  les institutions techniques, de gestion et recherche développement. En Allemagne elles sont de l’ordre de 10% ; en Italie et en Espagne de 20%, et atteignent 30% au Royaume-Uni. Il est difficile de les chiffrer pour le Maroc tant le partenariat universités/entreprises est en panne…

Conclusion

L’université marocaine fait face à de grands défis dans un contexte complexe où se superposent les exigences du régional, du national et du global… Elle doit repenser sa vision, ses missions et sa performance, dans le cadre de processus de réforme profonde, en  instaurant une dynamique de réforme continue  et en traitant les questions stratégiques à effet multiplicateur…