Les chiffres de la performance sociale

Les chiffres de la performance sociale

Les dimensions de la RSE ont soulevé ces dernières années de nombreux questionnements ayant conduit les académiciens et les praticiens à mettre sur pied un nouveau concept : la performance sociétale des entreprises (PSE). L’objectif fondamental de ce concept étant de traduire les actions et les réalisations de la RSE en termes de performance et de servir d’outil d’instrumentation managérial de la RSE.

Pour mieux appréhender ce qu’est la PSE, cet article tente de répondre à trois questions : que recouvre ce concept ? Comment le piloter et le mesurer? Et y a-t-il vraiment un lien de causalité entre la PSE et la performance financière ?

Que recouvre le concept de PSE ?

La notion de RSE a induit dans son sillage une nouvelle dimension de la performance de l’entreprise, en marge de la performance financière. Mais force est de constater que cette notion de PSE reste, à l’instar de la notion même de performance, ambiguë et difficile à mesurer.

La notion de performance sociétale des entreprises se présente comme une synthèse consolidée à la fois des différents travaux sur la RSE de Carroll (1979) et des recherches sur le concept de sensibilité sociétale menées en particulier par Wartick et Cochran (1985)1.

Carroll (1979) a été le premier à construire les principes d’une performance relative à la RSE qu’il qualifie de performance cherchant à mesurer, suivre et relater les efforts des organisations engagés pour la prise en compte des aspects sociétaux et éthiques. Le même auteur propose un modèle qui définit la PSE comme l’intersection de trois dimensions différentes :

  1. les principes de responsabilité sociale de l’entreprise, qui peuvent se décomposer en quatre niveaux (économique, légal, éthique et philanthropique). Cette dimension « correspond aux fins que poursuit l’entreprise par le biais de la responsabilité sociétale. Celles-ci impliquent non seulement les impératifs de rentabilité économique et de respect des obligations légales, mais, au-delà, le recours à un comportement éthique, conforme aux normes et attentes sociales, ainsi qu’une part plus volontaire et discrétionnaire d’inspiration philanthropique » (Germain et Trébucq, 2004 : 37) ;
  2. les problèmes sociétaux rencontrés par l’entreprise. Cette dimension représente les domaines dans lesquels la RSE peut être exercée. En fonction de la période considérée et du secteur dont relève l’entreprise, il pourra s’agir plus particulièrement de questions environnementales, sociales, actionnariales ou encore de qualité et de sécurité des produits ;
  3. la philosophie de réponse adoptée par une entreprise pour répondre de sa RSE. D’après Carroll (1979), les entreprises peuvent avoir quatre attitudes ou postures face aux responsabilités sociales :
  • les dénier : attitude réactive ;
  • faire le minimum : attitude défensive ;
  • être progressiste : attitude accommodative ;
  • être leader : attitude proactive.

En croisant ces trois dimensions, Carroll construit un modèle permettant de classer les comportements des entreprises en termes de responsabilité sociale, et donc par corollaire, leur performance sociétale.

Prenant la suite des travaux de Caroll (1979), deux approches théoriques ont essayé d’enrichir le concept de PSE. La première approche a été qualifiée d’approche fondée sur les processus (Husted, 2001). Elle intègre les éléments éthiques et moraux sur lesquels s’appuient les démarches de l’entreprise au quotidien. Un des modèles les plus complets et les plus cohérents de cette approche est celui de Wood (1991), qui distingue trois axes autour desquels s’articule la performance sociétale : (i) les principes, (ii) les processus de sensibilité sociétale (social responsiveness) et (iii) les résultats des politiques sociétales. Wood propose également d’intégrer de nouvelles dimensions de la PSE au sein du modèle, dimensions qui devraient être facilement mesurables et quantifiables (impacts sociétaux, programmes sociétaux et politiques sociétales, etc.). Il en découle une définition de la performance sociale et environnementale comme « une configuration organisationnelle de principes de responsabilité sociale, de processus de sensibilité sociale et de programmes, de politiques et de résultats observables qui sont liés aux relations sociales de l’entreprise » (Wood, 1991 : 693).

La deuxième approche de la PSE est une approche fondée sur les résultats. Elle rompt avec les modèles traditionnels déjà évoqués et évalue la performance sociétale à travers le cadre théorique des parties prenantes. En effet, pour Clarkson (1995) la performance est ce qui peut être mesuré et évalué. En conséquence, la performance sociétale se définit au travers de « la capacité de la firme à gérer ses parties prenantes de manière à les satisfaire » (Clarkson, 1995). Notons enfin que cette approche a été largement utilisée dans le cadre d’études sur les interactions entre la performance sociale et environnementale et la performance financière de la firme.

Comment piloter et mesurer la PSE ?

Pour pouvoir mesurer et piloter une performance, quoi de plus facile que de relier des objectifs à des mesures chiffrées, calculables et donc à un ensemble d’indicateurs formatés qui ont déjà fait leur preuve dans l’évaluation d’autres dimensions de la performance de l’entreprise.

Ainsi, dès lors qu’il y a eu besoin d’informer sur les actions des entreprises relevant de leur RSE, la première solution était d’opter pour une batterie d’indicateurs normés, préétablis et permettant la comparaison, dans le temps et dans l’espace, entre les performances des entreprises.

Waterhouse et Svendsen (1998) assurent, par exemple, que les indicateurs pour la mesure de la PSE sont largement utiles puisqu’ils :

  • améliorent la prise de décision en aidant les managers à mieux comprendre et prédire les liens entre les activités et comportements de leurs entreprises, en termes de RSE, et les résultats obtenues ;
  • améliorent la capacité des entreprises à gérer leurs relations avec leurs parties prenantes ;
  • permettent d’accroître la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

La littérature dans le champ de la PSE plaide ainsi en faveur de la création et de l’utilisation d’indicateurs de la RSE comme moyen pertinent pour décliner les stratégies sociétales.

Cette même littérature propose deux catégories d’indicateurs devant être utilisés par les entreprises. La première met l’accent sur la mesure des impacts sociaux et environnementaux des activités de l’entreprise. C’est le cas pour des indicateurs tels que le taux d’accidents des employés ou le taux de rejet de CO2. La GRI2 est un exemple d’indicateurs de la RSE orientés vers la mesure des impacts sociaux et environnementaux de l’activité de l’entreprise. Historiquement, ces indicateurs ont été les premiers à être mis en place par les entreprises sous, notamment, la pression des parties prenantes. Ces indicateurs ont l’avantage d’être facilement mesurables, observables et vérifiables. Ils présentent néanmoins l’inconvénient d’être rétrospectifs, et de n’être d’aucune utilité aux managers pour répondre aux attentes des parties prenantes.

La deuxième catégorie d’indicateurs plaide pour un rôle de mesure de la qualité des relations entre la firme et ses parties prenantes. Ils sont en cohérence avec la deuxième approche de mesure de la PSE, celle portée sur les résultats. Des indicateurs, tels que ceux relatifs à la satisfaction de la clientèle font partie de cette catégorie. Un des avantages de ce genre d’indicateurs est qu’ils permettent de focaliser l’attention des managers sur les facteurs sociaux et éthiques pouvant affecter la performance globale de l’entreprise. Ils peuvent ainsi être utilisés également pour prédire les résultats financiers et comptables futurs. 

Y a-t-il des liens entre la PSE et la performance financière ?

Traditionnellement, les stratégies économiques de la firme et ses politiques sociales et environnementales sont considérées séparément, chacune contribuant soit aux objectifs économiques, soit aux objectifs sociaux et environnementaux de l’entreprise. Dès lors, il semblerait évident que les performances sociétales et financières soient considérées distinctement et présentent peu de liens communs. La logique sous-jacente à cette séparation est que la performance sociétale résulte uniquement du management des relations et intérêts des parties prenantes en association avec les valeurs de l’entreprise, tandis que la performance financière dépend de plusieurs aspects en lien avec l’allocation des ressources de la firme, de sa stratégie commerciale, de la technologie utilisée, etc.

De plus, comme l’affirment Saulquin et Schier (2005), il n’est pas prouvé à ce jour qu’une entreprise socialement responsable obtienne systématiquement de meilleurs résultats à long terme. Les études empiriques menées sur les interactions entre la performance sociale et environnementale de l’entreprise et sa performance financière ne permettent pas aujourd’hui de conclure quant à l’existence d’une relation stable et générale entre les deux types de performances.

Pour conclure, nous pouvons évoquer la synthèse d’Orlitzky, Schmidt et Rynes (2003) qui compare les résultats de 122 études ayant cherché des liens entre les deux dimensions de la performance. Cette étude a montré que la relation RSE-Performance financière ne serait que légèrement positive puisque uniquement 51 études sur les 122 identifient un lien strictement positif.

Conclusion

En dépit de nombreux efforts de construction théorique et managériale, la PSE pose encore aujourd’hui plusieurs difficultés conceptuelles qui rejaillissent sur l’étude des interactions entre ce concept et d’autres construits, telle que la performance financière ou la satisfaction des parties prenantes, ainsi que sur les modalités pratiques pour la mise en place de cette performance.

Néanmoins, force est de reconnaître que piloter la PSE semble être un levier de croissance et de développement important pour les entreprises aujourd’hui, d’autant plus qu’un consensus semble émerger pour admettre que le pilotage de la PSE peut être considérée comme une compétence clé de l’entreprise, voire comme une ressource stratégique à même de fournir un avantage compétitif certain

 

Bibliographie

Carroll (Archie B.), “A Three-Dimensional Conceptual Model of Corporate Performance”, Academy of Management Review, vol. 4, n° 4, 1979, pp. 497-505.

Clarkson (Max B.E.), “A stakeholder framework for analyzing and evaluating corporate social performance”, Academy of Management Review, vol. 20, 1995, n°1, pp. 92-117.

Frederick (William C.), “From CSR 1 to CSR 2: The maturing of business and society thought”, Business and Society, vol. 33, n°2, 1978, pp. 150-164.

Germain (Christophe), Trébucq (Stéphane), « La performance globale de l’entreprise et son pilotage : quelques réflexions », Semaine sociale Lamy, 2004, pp. 35-41.

Husted (Bryan. W), “A contingency theory of corporate social performance”, Business and Society, vol. 39, n°1, 2001, pp. 24-48.

Orlitzky (Marc), Schmidt (Frank L.), Rynes (Sara), “Corporate Social and Financial Performance: A Meta-analysis», Organization Studies, vol. 24, n°3, 2001.

Saulquin (Jean-Yves), Schier (Guillaume), « La RSE comme obligation/occasion de revisiter le concept de performance ? », Actes du congrès La responsabilité sociale de l’entreprise : réalité, mythe ou mystification ? Mars 2005.

Wartick (Steven L.), Cochran (Philip), “The evolution of the corporate social performance model” Academy of Management Review, vol.10 (4), 1985, pp. 758-69.

Waterhouse (John), Svendsen (Ann), Le suivi et la gestion stratégique de la performance : des mesures de performance non financière pour améliorer le gouvernement d’entreprise, Institut Canadien des Comptables Agréés, Toronto, 1998.

Wood (Donna), “Corporate social performance revisited”, Academy of Management Review, vol.16, n°4, 1991, pp. 691-718.

 

 

  1. « La notion de sensibilité sociale traduit la capacité de l’entreprise à prévenir et gérer les problèmes sociétaux dans son environnement » (Frederick, 1978).
  2. GRI (Global Reporting Initiative).
  3.