Le leader du proche et du lointain

L’ouverture croissante des organisations induite par les effets de la globalisation appelle aux décloisonnements de toutes sortes : équipes virtuelles, collaborations externes ad hoc ou permanentes, mobilités des agents, filialisations, etc. Cette nouvelle configuration, plus spécifique aux entreprises transnationales, réhabilite derechef les façons de faire et de penser les communications. Dans ce contexte se pose alors la problématique de la performance de l’exercice du leadership véhiculée par la médiation des technologies de l’information et la communication (TIC). La question pour ces leaders est comment assurer de la proximité avec ses collaborateurs, et ce, malgré la distance géographique. Certaines études1 confirment que 80% des managers travaillent la majorité du temps virtuellement, et que 40% d’entre eux pensent que ce mode est contre performant. Si la transposition vers d’autres contextes moins « virtuels » peut s’avérer inopérante, il n’en demeure pas moins que le problème se pose avec acuité, et que nous pouvons en tirer des enseignements généraux. Apporter des réponses au problème du leadership transnational à travers les frontières implique nécessairement d’envisager les moyens d’accroître l’engagement et la connexion des équipes virtuelles. Cependant, la complexité ne s’arrête pas là, en ce sens que la dimension culturelle est à prendre en considération…

La contrainte spatiotemporelle

L’utilisation des canaux de communication à l’instar des visioconférences, du télétravail, de la téléconférence, naît de la contrainte spatiotemporelle. En effet, d’un point de vue géographique, les TIC permettent de réunir des consultants ou des commerciaux qui occupent très peu leurs bureaux, des compétences spécifiques qui habitent loin des locaux de l’entreprise, ou des experts et hauts responsables à la tête d’opérations à l’étranger. Les entreprises transnationales sont également contraintes par le temps, du fait des décalages horaires dans des entreprises multi-sites. Au surplus, l’exercice du leadership à distance, aussi paradoxal que cela puisse paraître, se fait également en interne étant donné la taille des entreprises transnationales et le difficile ajustement mutuel entre les parties prenantes.

Oui pour une confiance à distance

L’enjeu pour le leader à distance est de se rapprocher de ses équipes virtuelles. Il est largement reconnu que, dans le cas de figure de la gestion à distance, le face à face reste primordial en amont pour diminuer les distances psychologiques. Le leader/manager doit impérativement organiser une rencontre avec un nouvel employé ou la nouvelle équipe avant que tout le monde fasse ses valises. Mais une fois la distance géographique établie, le leader doit déployer quelques tours de main. Quels sont ainsi les leviers à sa disposition ? Internet ne remplacera jamais une discussion informelle autour de la machine à café, mais avec l’ancrage de l’utilisation des technologies dans le quotidien, l’impact de petits messages sporadiques sur des choses banales de la vie comme la santé du petit ou le régime alimentaire, accroît la confiance entre le leader et ses équipes. Cela montre l’intérêt du leader pour ses équipes, qui se sentent par là même plus connectées. Dans ce genre de situations, la proximité et la confiance se bâtissent également grâce à la créativité dont peut faire preuve le leader. En effet, dans les pays anglo-saxons où ces pratiques s’institutionnalisent, nous voyons des déjeuners virtuels programmés, où s’opèrent des échanges de photos, de vidéos, etc. Les médias sociaux utilisés ont cet avantage de la spontanéité où le leader exploite des moments de détente pour rebondir sur des sujets professionnels. Seulement, la vidéo a des limites et, pour y remédier, le leader doit impérativement développer ses capacités d’écoute afin de mieux détecter les conflits, les confusions, les collaborateurs silencieux, etc.

Oui pour une autorité managériale à distance

Nous l’avons vu, bâtir une confiance à distance nécessite l’utilisation des nouvelles technologies par le biais d’interactions répétées. Toutefois, l’exercice du leadership ne saurait être complet sans l’utilisation à bon escient des leviers qu’il a à sa disposition. Même si le leader ne parcourt pas les différents bureaux délocalisés de l’entreprise, il peut pour autant asseoir une autorité de leader via la rapidité et l’instantanéité de la décision, d’autant plus que cet exercice « numérique » demande un effort de préparation, ce qui augmente la qualité de sa communication. Cela constitue effectivement une dimension importante de l’exercice dans la mesure où les suiveurs peuvent visualiser à souhait sa vidéo, ou relire attentivement son blog ! Certes, cela peut paraître étonnant, mais plusieurs dirigeants se livrent à la rédaction de leur blog personnel, ce qui, selon les experts2, augmente l’efficience de la communication, le degré d’influence et l’autorité ; il promeut par ailleurs la marque, et évite le micro-management à outrance. En effet, expliciter par écrit une vision sur un projet ou des directives claires permet l’éviction d’un encadrement individuel des subordonnés, consommateur d’énergies et de temps. Toutefois, ce mode de communication n’est pas unidirectionnel, il peut permettre l’interaction. Une étude menée en juillet 2012 par DOMO3 auprès de 500 dirigeants utilisant les médias sociaux dans leur management indique que le blog, même s’il demeure le parent pauvre des autres canaux, s’avère être un outil puissant en termes de retours d’impact. Et parmi les critères de mesure de performance des blogs des dirigeants, l’interactivité occupe une place prépondérante.

L’essence d’une firme étendue, transnationale est d’être avant tout un espace de transactions de plusieurs cultures : la culture corporate, la culture du dirigeant, les sous-cultures localisées d’entreprises, des cultures nationales, régionales, etc. Cette confrontation multiple étant déjà complexe en soi, il s’agit ici de voir comment les interactions entre le leadership et les tiers, inscrites dans différents prismes culturels peuvent s’harmoniser dans des systèmes communicationnels nouveaux, et dans une distance donnée. Sans vouloir envisager des pistes de réflexions sur des solutions pratiques, nous proposons d’ouvrir notre analyse sur une option théorique selon nous intéressante qui est celle du courant proximiste4, et l’approche de la proximité institutionnelle en particulier qui constituerait un cadre intégrateur pour la problématique du leadership à distance. Celle-ci considère que ce type de proximité relève de la fédération autour des normes, des valeurs, des règles et des routines qui régissent les relations et les interactions entre les agents d’une organisation.

 

1.     Cf. RW3 survey. http://rw-3.com/2010/05/rw3-survey-finds-40-of-virtual-teams-underperform/

2.     Cf. les travaux d’Ashkan Karbasfrooshan.

3.     http://www.domo.com/company/press-releases/160?dkw=sofo52417.

4.     Zimmermann et Pecqueur.