Entretien avec Ahmed Ben Romdhane : ​Une RSE en amont

Entretien avec Ahmed Ben Romdhane : ​Une RSE en amont

UPC North Africa Renewables fait partie du groupe UPC, opérateur américain d’envergure mondiale spécialisé dans le développement, le financement, l’installation et l’exploitation de parcs éoliens et de projets solaires au niveau planétaire. Ses activités au Maroc n’étaient pas très médiatisées jusqu’au moment où on a annoncé la vente de ses éoliennes du site Khalladi dans le Nord, au saoudien Acwapower, devenu depuis propriétaire exclusif. Ce parc éolien a été construit à quinze kilomètres à l’Est de Tanger.

Pour réaliser ce projet tangérois, UPC a traversé entre 2009 et 2015 un parcours minutieux ; il s’agissait en premier de se conformer aux dispositions légales sur les énergies renouvelables au Maroc. Ainsi, UPC a notamment signé trois contrats de vente d’énergie avec des industriels marocains. Son parc comprend également une sous-station et une ligne de transmission à haute tension de 23 km pour évacuer l’électricité́ générée. La station Khalladi a été́ certifiée conforme au protocole de Kyoto par UPC Renewables SA. Ce projet contribue à éviter une émission annuelle de 175 tonnes de CO2. Sur le plan financier, la réalisation du parc Khalladi a bénéficié de l’apport de la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) ainsi que de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) d’un montant de 126 millions d’euros pour la construction, l’installation et l’entretien de quarante éoliennes de types Vestas V90-3 MW, ainsi que toutes les autres infrastructures nécessaires. Le projet khalladi fait partie de la stratégie nationale visant à atteindre 42% de renouvelable dans le mix énergétique du pays d’ici 2020.

Economia, curieuse de mieux connaître le modèle UPC de management, a rencontré M. Ahmed Ben Romdhane, directeur RSE et de développement d’UPC Renewables, afin de mieux appréhender l’expérience particulière de cette entreprise, ainsi que son approche en matière de responsabilité sociale.

Le parcours d’UPC Renewables

L’histoire de la société UPC remonte aux années 90. La première unité éolienne installée par celle-ci l’a été en 1992 en Californie, et ce, grâce à l’existence dans cet État américain, à l’époque déjà, d’un système fiscal favorable aux énergies renouvelables. C’est là qu’un partenariat s’est installé, grâce à l’initiative d’un ancien banquier, avec des avocats de cabinets internationaux et des banques internationales pour créer UPC. Ces précurseurs ont vu venir la nouvelle vague et se sont consacrés dès lors spécifiquement au développement greenfield. Ils ont réussi à constituer une structure très efficace à la fois dans le montage des projets et dans la mobilisation des fonds destinés aux énergies renouvelables.

Dans ce secteur des énergies renouvelables, il y a deux types d’entreprises, celles de petite taille – genre startup – très flexibles, qui font la génération de projets, prennent à leur charge tous les risques institutionnels, nouvelles technologies, capitaux propres, etc. ; puis, il y a celles des grandes entreprises de l’énergie, plus structurées, dotées de grands moyens financiers et techniques, mais manquant de flexibilité et plus lentes à cause des multiples contraintes qu’elles doivent gérer.

UPC a réussi à faire une jonction entre les deux grandes tendances de ces structures avec une approche très particulière. Elle a développé sur quinze années son modèle aux États-Unis avec 1200 MW en énergie éolienne, 200 MW en solaire installés, ainsi que 2000 MW en cours d’installation. Ce travail gigantesque et patient a été réalisé par UPC sur le sol américain dans le cadre d’une structure baptisée ensuite First Wind et vendue au géant Sun Edison.

Hors des États-Unis, UPC fait le même travail suivant une stratégie en deux volets : des petites structures génératrices de projets en éolien principalement, et solaire dans une moindre mesure, puis des structures plus grandes qui catalysent leur évolution ultérieure.

Avec ces deux types de structures (générateurs et catalyseurs), UPC a travaillé en Italie (400 MW installés et une usine de plaques vendue à Eni), aux Philippines, en Chine (le seul opérateur non chinois installé du secteur), en Indonésie et ailleurs.

En Afrique du Nord, UPC est en Tunisie depuis 1999 pour un projet dans l’éolien. Cela n’a pas pu se concrétiser dans l’immédiat en raison d’un certain nombre de difficultés. Aujourd’hui, après avoir surmonté les problèmes du foncier, du cadre réglementaire, des études d’impact et des relations avec les populations des sites cibles, la construction pourra enfin démarrer, soit seize ans après les premiers pas ! Seule une structure comme UPC pouvait supporter la mise en place de projets sur une telle durée avec patience, mais elle a aujourd’hui l’avantage d’être également l’unique à remplir toutes les conditions pour la réalisation de l’éolien dans ce pays.

Arrivée au Maroc en 2008, UPC y a installé en 2015 l’éolien Khalladi, à Tanger. Ce parc a ensuite été cédé à Acwapower en 2015. Cette autre compagnie saoudienne internationale, mastodonte du secteur énergétique, et principal investisseur et développeur du projet Noor à Ouarzazate, aux côtés de l’agence Masen et des espagnols Aries et TSK. Et ce n’est pas fini, UPC continue à s’implanter dans le Sud du pays, à Laayoune, Dakhla et même en Mauritanie.

La RSE chez UPC

M. Ahmed Ben Romdhane, directeur RSE et de développement d’UPC Renewables, nous explique la position de sa société en matière de RSE : « J’ai été recruté en 2012 sur la base de ma formation en RSE (CSR). Cela s’est fait dans la logique d’UPC, qui a décidé de faire de la responsabilité sociale une dimension du développement de ses projets. La RSE, dans le contexte ordinaire, est plus liée au marketing et moins au développement business. C’est surtout un travail d’image, de réputation, de communication. La RSE, dans le cas de l’UPC, est tout à fait différente de cette conception : elle est intégrée entièrement dans le cadre du développement des projets et concerne la question de faire un projet ou de ne pas le faire, aller chercher les populations pour voir leur attitude vis-à-vis du projet et opérer toutes les démarches nécessaires à son installation dans une vision d’implication des parties prenantes dès la première phase. »

La logique d’UPC n’a rien d’altruiste. L’éolien qu’elle fait consiste à placer des turbines, dont chacune coûte trois millions d’euros au minimum, sur des sites généralement isolés et difficiles d’accès. Si une telle opération ne bénéficie pas de protections durables, il sera difficile de s’y aventurer. Ainsi, pour réussir un tel projet, le promoteur se doit de commencer par les populations qui environnent le site, les structures communautaires qui existent. Cela veut dire que la logique d’une petite structure engagée dans ce projet lui impose d’entamer ses concertations et négociations par le bas de l’échelle, et ce, pour voir et explorer les possibilités d’implication et de convergence d’intérêts des parties prenantes dès ce stade. Il s’agit de commencer à créer dès lors les conditions de promotion et de protection durables, et ce, avant de passer à plus haut (gouvernement, grandes structures représentatives…). Et, lorsqu’UPC remonte vers le sommet de la hiérarchie, elle le fait avec le soutien d’un maillage local favorable de représentants de douars, des présidents de communes, d’associations de la société civile ou de développement.

Une charte éthique opérationnelle chez UPC

Un projet pour UPC est un investissement dans les personnes et l’infrastructure des communautés. « Nous créons des programmes communautaires sur mesure pour répondre aux besoins locaux, dans le but que nos programmes aient un impact positif durable, précise M. Ben Romdhane. La charte UPC exige l’efficacité et la durabilité des actions de la compagnie. UPC ne vient pas chez les communautés pour “acheter” leur collaboration, ni en amenant des prestations et des services qui n’ont pas de lendemain. » À Khalladi par exemple, UPC a commencé par déposer ses équipements 2009 et, depuis, il y avait des travaux d’entretien, de maintenance et de gardiennage. M. Ben Romdhane raconte comment la société américaine gérait en parallèle les pressions externes sur son activité : « Nous discutions, préparions et faisions des programmes de formation à l’emploi pour les différentes catégories des populations environnantes (chômeurs, jeunes, femmes) et avec les différentes parties prenantes. »

La RSE telle que déployée par UPC au Maroc

La première démarche est interne. Lors du recrutement des nationaux, le poids de la culture locale sur les relations professionnelles de l’entreprise dans son environnement est très vite perçu. Les gens sont habitués parfois, au quotidien, aux rapports clientélistes et de corruption. Il fallait leur expliquer l’impératif de respecter les normes de conduite d’UPC radicalement opposées à cela. Il leur était clairement signifié que l’employé ou le cadre national de l’UPC est sous l’obligation de respecter méticuleusement les principes éthiques de la compagnie, qu’il y a une loi américaine anti-corruption très stricte qui punit les responsables des entreprises américaines s’ils sont les auteurs de telles pratiques, même à l’extérieur de leur pays.

La deuxième disposition concerne les sollicitations externes des parties prenantes. Il fallait ainsi préciser les règles de conduite de la compagnie, en soulignant que les relations d’UPC avec son milieu sont des relations institutionnelles, et que, partant de là, aucun avantage à caractère individuel ou personnel ne peut être concédé à quiconque. D’ailleurs, pour toute action dans le contexte d’un projet, même à dimension communautaire, UPC a recours aux conseils et avis de personnes neutres, pour mieux appréhender les requêtes. Le mapping (ou positionnement de l’entreprise face à ses concurrents) et l’analyse des situations sont généralement très utiles dans ces cas, au Maroc comme dans d’autres pays aussi.

Selon M. Ben Romdhane, la situation a été plutôt aisée à gérer au Maroc, parce que le pays est doté d’institutions publiques destinées à lutter contre la précarité comme l’INDH, l’ADS, l’Entraide nationale... Le Maroc possède aussi un outil pour l’emploi avec Anapec (Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences) Ce sont des biais qui facilitent la tâche des opérateurs telle l’UPC, et qui institutionnalisent leurs interventions dans la transparence.

Au niveau du top management, UPC considère que le Maroc est également doté d’une politique énergétique aux orientations stratégiques stables, surtout pour les énergies renouvelables. Ces politiques ne posent pas aux opérateurs du domaine de grandes difficultés. L’exercice dans ce secteur ne pâtit pas des aléas politiques de gouvernement, ce qui est apprécié positivement par l’UPC.

La particularité au Maroc consiste dans la diversité du pays. Le projet à Tanger ne ressemble pas à celui de Laayoune, le Sud étant tribal avec une culture de commerçants, le Nord étant sous l’emprise d’autres habitudes : trafics, culture du cannabis, etc. Au Nord, les populations ne désirent pas le désenclavement introduit par de tels projets. M. Ben Romdhane raconte que lorsqu’UPC a proposé de construire une route de 4 km pour camions, afin de permettre la mise en place des équipements lourds, les populations avaient exprimé au début leur refus, car elles voulaient rester à l’abri de l’État. 

Que signifie une RSE en amont ?

Le fait d’avoir engagé la responsabilité sociale dans un projet d’entreprise dès sa conception et sa première installation crée un environnement favorable à ses activités et contribue aussi à des relations sociales qualitativement meilleures et responsables. Même si UPC a cédé Khalladi à Acuapower, l’acquéreur hérite de l’ensemble du modèle et de ses avantages, mais aussi des engagements stratégiques envers la communauté. Adopter la RSE en aval du projet devient facilement praticable pour ses promoteurs autant que pour les parties prenantes.

Note

  1. L’investissement greenfield est une forme d’IDE qui se produit lorsqu’une société transnationale s’installe dans un pays pour construire des usines entièrement nouvelles avec tous les risques de leur conception et installation, créatrices d’emplois mais aussi source de transfert technologique et de savoir-faire. UPC a fait ses preuves depuis sa création sur de nouveaux marchés avec des technologies de pointe et des stratégies créatives appropriées au niveau local, accélérant ainsi le développement des énergies renouvelables dans de nombreux pays.