Enjeux gèomaritimes pour un Maroc Atlantique

Enjeux gèomaritimes pour un Maroc Atlantique

La centralité géostratégique de l’Atlantique élargi et la cohérence de son espace sont interrogées à la lumière de trois réalités qui, mises en correspondance, prennent sens pour mieux appréhender la pertinence ou non de cet espace en tant que système structuré et structurant pour une action collective. Il s’agit notamment de la renaissance de la centralité géostratégique de l’euro-Atlantique, et de l’utilité géopolitique majeure de l’espace maritime pour les États riverains. Il sera envisagé, tout au long de ce papier, une concentration sur la dimension maritime, en tant que perspective pour une intégration atlantique poussée.

Renaissance de la centralité géostratégique euro-atlantique

Depuis la formalisation de l’Alliance atlantique, née du traité de Washington le 4 avril 1949, la centralité euro-atlantique a connu des réalités multiples jusqu’à un repositionnement déterminant incarné par la perspective récente du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ; TTIP en anglais). En effet, d’une période d’incertitude quant au rôle de l’Alliance au lendemain de la Guerre froide au Partenariat transatlantique, plusieurs événements militaires et politiques ont jalonné l’histoire pour reconstituer une certaine centralité euro-atlantique au-delà de sa zone de défense classique, parmi lesquels les interventions en Afghanistan et en Lybie, les opérations Ocean Shield1 dans l’Océan Indien, l’Active Endeavour2 en Méditerranée, les attentats du 11 septembre créant malencontreusement des conditions favorables à ce repositionnement. Au surplus, la centralité géostratégique euro-atlantique s’est cristallisée plus manifestement par le biais des nombreux partenariats de l’Otan de plus en plus projeté dans le « système monde ». Toutefois, il est à considérer qu’en dépit de l’ensemble de ces facteurs explicatifs d’une renaissance de cette centralité, il n’en demeure pas moins qu’un marché régulé par un accord de libre-échange sur l’échelle atlantique n’existe pas encore à ce jour.

La perspective du TTIP vient justement bousculer cette donne et l’on considère qu’elle représente un tournant déterminant. Les prévisions chiffrées plaident en effet pour cet état de cause, par l’établissement du plus grand marché du monde (50% du PIB mondial) qui représenterait à l’avenir 40% des échanges mondiaux et 60% de l’innovation mondiale. Vu d’un prisme géoéconomique, le TTIP et ses implications visent à contrecarrer la montée en puissance asiatique. Mais, cet accord comporte une visée également géosécuritaire car il permet d’épouser et de prolonger le repositionnement géoéconomique par une renaissance progressive d’une aire politico-militaire aspirant à faire de l’euro-Atlantique un axe central de gouvernance mondiale, impulsé par l’Otan3.

L’utilité géopolitique majeure de l’espace maritime pour les États riverains

La pertinence géopolitique de l’Atlantique, souvent entrevue par des approches globalisantes et théoriques4, suppose l’emprunt d’autres voies possibles d’analyse. En ce sens, il est convoqué dans ce contexte une approche géomaritime, embrassant une double perspective, à la fois stratégique et économique. Le fait maritime est effectivement devenu un enjeu stratégique grâce auquel les États peuvent renforcer leurs attributs de puissance. De plus, cette approche permet de comprendre les processus régionaux à l’œuvre dans l’espace atlantique, en considérant leur contribution possible ou non à l’émergence d’un espace atlantique élargi cohérent.

D’un point de vue stratégique, le Maroc, à l’instar de l’Espagne et du Portugal, devrait arrimer son ancrage atlantique. Il devrait ainsi se projeter comme puissance maritime structurante tant pour relancer son économie que pour relever le défi géopolitique continental et tirer profit d’un ancrage atlantique. Il est intéressant d’observer à cet égard que le Brésil et l’Afrique du Sud jouissent désormais du statut de puissance émergente grâce à leur dimension maritime. Sur une échelle géostratégique, les États-Unis déploient, par exemple, leurs forces navales et aéronavales pour sécuriser les routes maritimes à des fins de protection de leurs intérêts économiques maritimes, mais aussi pour lutter contre le terrorisme.

Si la pertinence de l’espace atlantique vue par le prisme géomaritime sert des objectifs stratégiques, elle remplit également une fonction économique certaine, dans le sens où l’approche maritime permet d’entrevoir l’espace comme un ensemble de ressources et de richesses. Mieux, cet espace devient un catalyseur des nationalismes maritimes. En effet, la maritimisation des économies des riverains de l’Atlantique s’est renforcée au fur et à mesure que le littoral prenait une part considérable dans la production de la richesse nationale, au vu des échanges maritimes, de la présence des ressources halieutiques et d’hydrocarbures, de l’importance des industries lourdes et du dynamisme des villes côtières. 90% des échanges mondiaux se font par voie maritime, ce qui révèle l’importance de la mer dans la réflexion stratégique des États. Enfin, la dynamique maritime met non seulement en relief des zones en concurrence, mais également les besoins en sécurité et de sûreté maritimes face aux menaces asymétriques

 

  1. Il s’agit d’opérations de lutte contre la piraterie, mises en place par l’Otan.
  2. Opération maritime de l’Otan qui a pour objectif principal la recherche et la neutralisation des groupes terroristes et des armes de destruction massive.
  3. Une des manifestations de l’influence atlantique Nord au niveau militaire est entrevue dans la politique américaine de multipartnership, qui a pour objectif de trouver des partenaires susceptibles de partager leur conception de la sécurité et d’y contribuer tant sur le plan opérationnel que financier. Ces partenaires sont aussi bien des pays membres de l’Otan que des pays riverains avec lesquels l’interopérabilité militaire et politique est développée.
  4. La Revue Britannique Atlantic Studies, créée en 2004, adopte cet angle de recherche dans une perspective historique.