Cyber maroc et nouveau management

Cyber maroc et nouveau management

L’essor rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) constitue un enjeu décisif pour notre avenir. Cette période est un tournant majeur pour l’humanité.  Tous nos systèmes sociaux, nos systèmes de valeurs, nos identités, autant individuelles que collectives, connaîtront une mutation sans précédent.

En effet, depuis l’aube de l’humanité, de nombreuses innovations techniques correspondant à des périodes de mutation importantes ont favorisé l’évolution de l’espèce humaine. La découverte du feu, l’invention de l’écriture, de l’imprimerie ou de la machine à vapeur, pour ne citer que celles-là, ont graduellement bouleversé nos vies, nos cultures et notre comportement. Chaque découverte représente un tournant. Aujourd’hui, les NTIC et surtout l’Internet engendrent une révolution copernicienne à l’instar de ce qu’a été l’imprimerie pour l’éclosion de la civilisation occidentale. Les historiens s’accordent à dire que l’imprimerie a été un moteur stratégique pour l’éveil de l’Occident en amplifiant le savoir et en démocratisant son accès1.

 

MAROC : DE LA BONNE VOLONTÉ MAIS... PEUT MIEUX FAIRE

Face à ce nouveau challenge, le Maroc enregistre des progrès notables. Il a pris un virage important en libéralisant les télécommunications: plusieurs opérateurs sont apparus, démocratisant de fait l’accès à ces moyens technologiques. Et il a entrepris des ajustements réglementaires, afin de prendre en considération l’immatérialité de nouvelles activités.

Il faut reconnaître qu’une volonté politique d’accompagner et d’encourager la numérisation des économies est clairement affichée. A titre d’illustration, la justice marocaine s’est dotée d’un système d’information documentaire pour la gestion de son système d’archives physiques2. La Direction générale des Impôts a mis en place un guichet électronique pour la télé-déclaration et le télépaiement des différents impôts d’Etat3. Mais, malgré tout cela, l’intégration des NTIC accuse encore un retard, comparativement aux pays développés et aux pays émergents. Les principaux facteurs de blocage sont dus à l’inertie du système bureaucratique.

La mise en œuvre d’une administration numérique subit une résistance tacite à la nécessaire transition vers les nouveaux modes de gouvernance publique. La e-administration a pour le moins une implication majeure : la correction des inégalités d’accès aux services publics. Un simple clic devrait permettre, par exemple, d’obtenir un extrait d’acte de naissance. A cela, il faudrait ajouter que les textes de lois adoptés pour régir les actes numériques (certification) ou pour protéger juridiquement les échanges de données électroniques (sécurisation) et les transactions financières (monétique), ainsi que le commerce en ligne, sont encore en-deçà des attentes du tissu socio-économique.

 

MANAGEMENT STRATÉGIQUE DE L’INFORMATION

Dans le nouvel environnement économique, instable, complexe et flou, il devient  essentiel  d’avoir prise sur les événements, de ne pas subir le changement et d’élargir autant que  possible son champ de vision, afin de  détecter les menaces et les opportunités à venir. 

La société industrielle a imposé ses modèles mécaniques pour construire ses organisations sociales et la hiérarchie de ses entreprises. Engrenages, rouages, niveaux de responsabilité imbriqués constituaient, selon la logique taylorienne, les modèles de référence des organisations industrielles. La société de l’information modifie ces anciennes logiques et met en évidence de nouvelles nécessités de gestion. De nouveaux modèles émergent. Plutôt qu’à des modèles mécaniques, on se réfère désormais à des modèles réticulaires, flexibles, parallèles, et décentralisés, alliant la transversalité, la coopération et la collaboration. La technologie interactive conduit l’entreprise à se déconcentrer et dorénavant la prise de décision s’effectue au plus près  du terrain.

Dans la gestion moderne, le manager fixe les objectifs, fournit les ressources financières et humaines et permet ainsi à ses équipes de piloter leur département ou leur direction vers l’objectif fixé, tout en s’informant en permanence des modifications de l’environnement, grâce à des tableaux de bord adaptés. A l’instar de la technologie, le management stratégique de l’information offre des outils cognitifs qui aident le manager dans ses prises de décision. Généralement un décideur consacre son temps à gérer les imprévus, les conflits, les dossiers de dernière minute. Il pratique un management panique et zappe d’une situation à une autre. Or, le cumul des microdécisions souvent hasardeuses, faute de recul nécessaire, peuvent, par effet papillon, produire des dégâts incommensurables. La crise financière actuelle le démontre aisément, les traders, en boursicotant plus vite que leur ombre, les banquiers, en inventant des produits «subprimes» sans prendre le temps d’en mesurer les risques, ont conduit le monde à une crise sans pareille4.

De ce fait, la maîtrise de l’information conditionne et détermine toutes les décisions stratégiques, et l’entreprise qui dispose d’outils cognitifs est alors capable d’anticiper, de réagir, et de saisir les opportunités technologiques, industrielles ou commerciales qui se présentent. De plus, grâce à des réseaux internes de communication comme les intranets, la répartition des pouvoirs s’effectue sur de nouvelles bases. Avec l’usage des intranets, les structures s’aplatissent, la circulation des informations se fait plus rapide. De fait, un nombre croissant d’entreprises envisage l’intranet comme un moyen d’accéder à des applications métiers, et surtout comme une interface globale pour permettre le travail collaboratif. A cet égard, les applications telles que l’agenda partagé, les outils d’édition collaborative, les applications de gestion de projet sont des dispositifs relativement récents du point de vue de leur diffusion et de leur utilisation.

 

IMPACT DU SYSTÈME D’INFORMATION SUR LA DÉCISION MANAGÉRIALE

Le développement des progiciels de gestion (ERP) depuis le milieu des années 1990 a entraîné de profondes modifications des flux d’informations opérationnelles au sein des entreprises. L’information opérationnelle n’est plus cloisonnée dans une unité, elle est accessible sur différents postes dans différentes unités opérationnelles. Ainsi, l’accès à l’information est profondément modifié avec ce type d’applicatif, dont la diffusion dans l’entreprise conduit à des modifications, à la fois dans la conduite des activités et dans la prise de décision des managers.

Des technologies comme le datawarehouse et les applications décisionnelles s’apparentent à la catégorie des nouvelles technologies dans la mesure où les progrès en termes de serveur et de logiciel sur le poste utilisateur permettent désormais de les rendre accessibles à des managers directement sur le poste de travail. L’accès est encore facilité par le fait que les tableaux de bord sont directement accessibles depuis une interface Web. La balanced scorecard (BSC) en est un excellent exemple. La BSC offre aux décideurs les moyens de piloter leur entreprise. Il faut vraiment le voir comme un réel système de management, une sorte de  cockpit, certains, d’ailleurs, parlent de management cockpit.

Cette approche5 part de la vision des dirigeants sur le devenir de leur entreprise et met la stratégie au centre de leurs analyses, contrairement au tableau de bord classique qui place le budget au centre des décisions.  A partir de la vision s’élaborent les stratégies permettant sa concrétisation. Ces dernières sont déclinées en objectifs et chacun des objectifs est décomposé en actions et tâches à effectuer. Chacune des actions est mesurée par sa durée, ses ressources et ses contraintes, ce qui permet leur suivi et leur évaluation. Toutes ces mesures sont ensuite traduites en indicateurs pertinents.  Comme la qualité des décisions dans la BSC est dépendante de la qualité de la mesure et de la pertinence des indicateurs, il est nécessaire de s’appuyer sur une méthode d’investigation rigoureuse, fondée sur la recherche des données auprès des responsables et des  utilisateurs. Dans sa forme initiale, la BSC se fonde sur quatre axes6 interdépendants : l’axe financier, l’axe client, l’axe processus interne et l’axe apprentissage (Ressources humaines). Ces quatre dimensions constituent la charpente de la BSC. Chacun de ces axes produit des indicateurs en rapport avec les objectifs à atteindre. Il y a des indicateurs stratégiques, court, moyen et long termes, des indicateurs opérationnels et de mesure de la performance et puis des indicateurs de diagnostic.

De plus, au niveau des axes, chacun s’appuie sur une méthode annexe permettant son amélioration, voire sa réorganisation. Kaplan et Norton, les fondateurs de la BSC, se basent sur Six Sigma pour ce qui concerne l’axe processus interne. A elle seule, cette méthode a permis à de grands groupes comme General Electric, Motorola, etc. d’augmenter leurs performances. Ainsi:

• l’axe processus interne  s’appuie sur  la méthode Six Sigma,

• l’axe financier  sur l’informatique décisionnelle, notamment un data mart financier,

• l’axe client sur le CRM,

• l’axe apprentissage organisationnel sur le knowledge management, cartographie des compétences, analyse des activités et modélisation des savoir-faire.

Une carte stratégique, synthétise dans un diagramme de type «cause à effet» les relations entre les différents objectifs stratégiques selon les 4 axes (financier, client, processus, apprentissage) et toute modification d’un indicateur entraîne des répercussions par propagation sur l’ensemble du réseau. Au Maroc, le groupe ONA, le groupe Ténor, La Caisse marocaine des retraites, la Poste, notamment sa direction des ressources humaines, sont parmi les entreprises qui ont déployé la BSC.

L’ensemble des technologies de l’information présentées modifie la gestion de l’information au sein des entreprises. Quelles que soient les technologies ou applications retenues, celles-ci aboutissent aux modifications suivantes : dématérialisation, disponibilité, accessibilité, diversité, indexation, interactivité de l’information. Dans la mesure où le management repose en grande partie sur la gestion de l’information, il semble inéluctable que les pratiques managériales soient appelées à évoluer et à donner naissance à un management électronique, appelé e-management.

 

1 Cette découverte, attribuée à Gutenberg, a été en réalité inventée par les Chinois. Les Arabes durant leur expansion en avaient pris connaissance, quatre siècles avant Gutenberg, à un moment où la pensée arabo-musulmane était en effervescence, mais les docteurs de la loi islamique l’avaient complètement prohibée. Chose étonnante, l’imprimerie a été interdite dans le monde arabe jusqu’à la fin du XIXème siècle. Cette interdiction a contribué en grande partie à notre décadence.

2 Un projet d’envergure, puisque les six centres d’archives de cette entreprise accueillent près de 70 kilomètres linéaires de documents.

3 Le Simpl-TVA, premier télé-service opérationnel depuis 2007, le Simpl-IS depuis 2008. Suivra à moyen terme le Simpl-IR. Les avantages de ces procédés sont multiples, tant pour l’usager que pour l’administration fiscale.

4 L’onde de choc qui arrive va malheureusement provoquer une apocalypse: ruine de familles, faillites en cascades, pertes d’emploi. Par ricochet, plus que les pays qui l’ont engendrée, cette catastrophe touchera les pays du Sud, mal préparés, souffrant de peu de moyens et déjà confrontés à une misère endémique.

5 L’erreur souvent commise est de confondre la technique avec la méthode. Disposer du meilleur traitement de texte ne fait pas de nous des écrivains. Faire appel à un informaticien pour mettre en place un CRM ou un tableau de bord décisionnel conduira, à coup sûr, à un échec.

6 On parle aussi de perspective.