Akkal, une marque... A Kech

Akkal, une marque... A Kech

Au Maroc, le mot artisanat rime depuis peu avec design, mode voire phénomène branché. Tout est parti de Marrakech où les riads, construits et décorés dans le passé par des artisans venus de toute la Méditerranée, délaissés et tombés en ruine lors de l’expansion urbaine du Royaume, ont connu un nouvel âge d’or dès la fin des années 90. A l’époque, l’arrivée dans la médina de quelques pionniers réhabilitant «ces palais» achetés à prix bradés, relayée par une intense couverture médiatique, ont créé un véritable engouement pour la rénovation de ce type d’habitat traditionnel, en particulier auprès des Européens. Ces réhabilitations, souvent orientées vers un tourisme haut de gamme et authentique, ont créé une demande pour un artisanat différent, original et disons-le, revisité, modernisé.

Par définition, un artisan exerce pour son propre compte une activité manuelle dont les processus s’opposent à ceux du monde de l’industrie. L’artisan, dont l’étymologie latine fait référence aux arts, est celui qui est bien instruit, qui exerce un art mécanique ; il s’oppose à l’ouvrier qui fait un ouvrage. L’artisanat marocain, dont les premières traces remontent au néolithique, s’inscrit bel et bien dans ce cadre, et le travail de la terre comme de la céramique ne fait pas exception.

Avant le protectorat, l’artisanat marocain couvrait l’essentiel des besoins de la société. Mais  confronté à la montée en puissance de l’industrialisation, il se marginalise1. Son rôle économique, et particulièrement social, sera pourtant reconnu dès la fin du protectorat. Dix ans plus tard, au sortir des années 60, des politiques publiques tenteront d’orienter le secteur vers la demande extérieure et le tourisme2. Il faudra cependant attendre 2001 pour qu’un «livre blanc» vienne fixer les orientations stratégiques du secteur et les quantifier, tant en termes d’emplois que de niveaux de production ou de qualité.

Reste qu’au-delà des politiques publiques, certaines marques nouvellement créées au Maroc, ont réussi à s’imposer. Leur credo : allier l’artisanat traditionnel au design et à la création et ce, pour rompre avec le «culte de la reproduction». L’histoire des céramiques Akkal, aujourd’hui intégrées au groupe Fenyadi, est un exemple probant de cette évolution artisanale. Akkal (terre, en berbère) et sa fondatrice, Charlotte Barkowski, vont démarrer leur aventure en 1997, à Marrakech.

De formation artistique et cosmopolite, Charlotte Barkowski fait ses débuts dans le monde du cinéma et de l’image. En 1996, à la faveur d’une année sabbatique, elle part vers le sud avec son époux. Ensemble, ils explorent l’Espagne, le Maroc, la Mauritanie et le Mali. Mais c’est à Marrakech, sur le chemin du retour, qu’ils décident de «ne pas rentrer en Europe»  et de tenter l’aventure au Maroc. Un pays que Charlotte connaissait bien pour y avoir séjourné à maintes reprises. A chaque fois, sa sensibilité de créatrice «avait été touchée par l’artisanat vendu et exposé, et la persistance des techniques employées», non sans regretter «de «trouver partout la même chose».

Face à ces objets usuels reproduits à l’identique depuis des générations, l’idée lui vint de revisiter les productions artisanales traditionnelles et partant, de «démarrer avec des investissements que je pensais assez faibles, une activité professionnelle qui me ressemble».

Elle oriente alors ses recherches vers le village de potiers traditionnels, situé en 1998, à la sortie de la ville ; village qui fonctionnait encore sans eau ni électricité. Elle y trouve un potier qui accepte de fabriquer et de lui vendre les pièces qu’elle dessine dans son atelier. A l’origine des premières productions, on trouve des objets traditionnels auxquels elle apporte un soupçon de modernité. Elle remplacera ainsi le traditionnel bout carré du couvercle du tajine par une «goutte d’eau». Son leitmotiv : partir de ce qui relève du patrimoine marocain pour imaginer des produits plus modernes, plus design sans pour autant perdre la «nature» des produits. D’autant qu’à l’époque, elle vivait en médina où, se rappelle-t-elle, «je vendais mes produits principalement aux bazaristes des souks».

Mais la renommée d’Akkal doit aussi beaucoup au travail que Charlotte réalise sur les couleurs. Au départ, seuls le bleu, le vert, le rouge, le jaune et le noir, couleurs que les potiers trouvaient sur le marché et utilisaient de père en fils, coloraient ses objets. Comme tous les autres potiers du village, celui de Charlotte était persuadé que mélanger entre eux les pigments relevait de l’hérésie et qu’après cuisson, n’en ressortirait qu’un gris. Mais face à l’insistance de notre créatrice, des essais sont réalisés qui vont peu à peu permettre de produire la magnifique gamme de couleurs, devenue aujourd’hui l’une de ses marques de fabrique. Au point de lui ouvrir les portes du monde de l’hôtellerie et des riads pour lesquels elle va créer des produits originaux, respectant les exigences de ce nouveau type d’acheteurs. L’aventure d’Akkal, faite d’envies, de rencontres, franchit un nouveau cap dans l’atelier de poterie d’une décoratrice belge de renom. Conquise par les couleurs et le savoir-faire développés par la marque, cette dernière décide de faire fabriquer un certain nombre d’objets dans les ateliers de Charlotte pour les vendre dans ses boutiques en Europe. L’exigence d’une qualité irréprochable va donc conduire notre créatrice à changer de mode de fonctionnement et à louer l’atelier et les services de son équipe de potiers afin que ceux-ci ne supportent plus seuls le coûts des défauts de production. «De fil en aiguille, nous avons réussi à nous développer, jusqu’au jour où j’ai pu déménager mon atelier à Sidi Ghanem3 et remplacer les fours à bois traditionnels par des fours à gaz qui permettent de mieux contrôler la cuisson, une étape critique de la production », raconte-t-elle.

Cette recherche permanente d’une qualité supérieure ne s’est pas faite pour autant au détriment des techniques artisanales. En effet, la priorité de l’équipe est de continuer à faire de l’artisanat, c’est-à-dire des pièces uniques, faites à la main, conformément aux pratiques ancestrales. Des potiers de tout le pays ont rejoint peu à peu l’atelier pour atteindre aujourd’hui le nombre de cinquante artisans. L’organisation du travail a été optimisée, en particulier la gestion des flux de matières et de produits, mais l’atelier fonctionne toujours selon le modèle des ateliers traditionnels. Les «maalems4» potiers travaillent avec des apprentis qui les alimentent en matières premières et qu’ils forment tout au long de leur carrière pour qu’ils deviennent à leur tour artisans. Dans l’atelier, outre la modernisation des fours, les potiers utilisent aujourd’hui des tours électriques et non à main, les infrastructures ont été améliorées (eau, électricité) et les conditions de travail s’en ressentent.

L’entreprise est aujourd’hui passée à un nouveau stade de croissance puisque Akkal fait partie du groupe Fenyadi qui intègre de multiples formes d’artisanat. Pour Charlotte, cela signifie l’opportunité de «construire un espace de création, capable de mettre en valeur les multiples facettes du pays», qu’il s’agisse de fabriquer du mobilier, du textile ou de la céramique. Le processus de création de chaque collection puise son inspiration dans un des visages historique ou culturel du pays. La démarche est toujours la même, les créatifs s’interrogent sur les modes de vie, les origines, les influences d’une région ou d’une époque au Maroc. A partir de là, les objets usuels peuvent être revisités ou recréés, les matières mélangées ou utilisées de manière inhabituelle pour produire encore et toujours un artisanat marocain «haut de gamme» qui séduit et surprend sans jamais renier ses origines. Toujours dans la céramique, le verre «beldi» tel qu’il existe depuis des années, a d’abord été fabriqué en céramique, puis affiné et travaillé sur différents formats qui lui permettent maintenant de s’assortir aux machines à expresso ou aux théières design, témoignant une fois de plus de l’adaptation de cet artisanat aux changements de mode de vie.

L’essentiel - et le plus dur – est de rester précurseur ; en témoigne la reproduction à l’envi des premières créations de Charlotte que l’on retrouve aujourd’hui chez les bazaristes des souks.