A qui profite la flambée immobilière ?

La terre marocaine n’a plus de prix. En ville, en bord de mer, la valse des millions rythme la cadence des coups de pioche. Construire vite, toujours plus vite, vendre pour acheter de nouveaux mètres carrés que les derniers coups de pioche ont déjà rendus plus chers, et puis revendre pour acheter encore cette terre devenue si vite de l’or, sans que l’on sache encore très bien comment. Au Moyen-âge, les alchimistes voilaient leurs secrets occultes dans des traités énigmatiques et des formules obscures. Seuls les initiés pouvaient en déchiffrer les allégories et les symboles. Au Maroc aujourd’hui, l’immobilier aussi a ses initiés et ses faiseurs de fortune, aux pratiques obscures et aux ententes secrètes.

Il y a pénurie, nous dit-on. Pénurie de terrains d’un côté et, de l’autre, tant de Marocains qui se prennent à rêver de devenir un jour propriétaires. La mécanique est naturelle : la demande plus forte que l’offre fait enfler les prix. Jusque-là, rien à redire. Dans la flambée immobilière, la loi du marché est à l’oeuvre. Les mauvais esprits qui soupçonnent une main invisible n’ont qu’à se taire : c’est naturel, on vous dit.

Pourtant, dans ce marché débridé, les forces ne se sont pas libérées seules. En trois, quatre ans, les Marocains ne sont pas devenus plus riches. Le PIB par habitant ou le revenu moyen n’a pas explosé, les emplois ne se sont pas multipliés. La demande a été boostée. Fonds de garantie pour accès à la propriété, baisse des taux d’intérêt, allongement de la durée des crédits, etc. Personne n’oserait s’en plaindre, car finalement quoi de plus légitime qu’une politique publique qui fait de l’accès au logement une de ses priorités ? Mais n’est-on pas allé trop vite ? Car pour maintenir l’équilibre, l’offre aurait dû connaître la même énergie libératrice. Certes, sur le papier, les directives administratives sont généreuses. Incitations fiscales pour les constructions à moins de 200.000 DH, refonte des agences urbaines pour accélérer le rythme des délais d’autorisation de construction, signatures à la pelle de conventions annonçant de pharaoniques projets de construction. Seul hic : les efforts se concentrent sur les coûts du logement, quand c’est la terre qui fait cruellement défaut. Mal ficelée, trop rapide, la politique de l’habitat s’est traduite sur le terrain par une vaste campagne de promotion immobilière. Résultat : au lieu de faire tomber la pression, les cessions du domaine public n’ont fait qu’alimenter la spéculation. Est-ce normal qu’aujourd’hui, chaque déplacement royal soit suivi d’une flambée des cours immobiliers ? Après chaque visite, on en attend l’annonce. Les plans d’aménagement urbain, qui tracent sur plusieurs décennies les zones et contours des villes sont des instruments institutionnels qui permettent justement d’éviter la spéculation foncière. Pourquoi Casablanca n’a-t-elle toujours pas son plan d’aménagement ? On y travaille, il sera rendu public prochainement, assuret- on. Oui, mais en attendant, sans information, en créant une pénurie artificielle de terrains, des fortunes se sont faites, alimentées par les crédits à long terme des ménages à qui l’on a affirmé qu’avoir un toit était un droit. Aujourd’hui, cas unique au monde, les banques marocaines ont même institutionnalisé la pratique du noir, allant jusqu’à se vanter dans leurs publicités de pouvoir financer un bien à hauteur de 120%. Le surplus (sur lequel l’emprunteur paie des intérêts) va en direct et sans frais dans la poche du promoteur et en face, il n’y a personne pour trouver à y redire. « C’est le manque de logements, la demande est plus forte que l’offre, on vous dit ». Alors que l’on arrête de gonfler artificiellement la demande ! Derrière ces mots, rien de nouveau, certes. Juste un coup de gueule devant ce qui est en train de devenir l’un des plus beaux hold-up organisés que le Maroc ait jamais connu….

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