Edito 5: La classe moyenne en sauveur providentiel

L’appel pour la construction urgente d’une classe moyenne pourrait devenir une nouvelle doxa religieuse, censée en renforcer les corollaires, la démocratie et le libéralisme. Mais il a très peu de chances d’accéder à ce rang, faute de “chapelles” et surtout de lobbies pouvant plaider sa cause et drainer les fonds qui vont avec. Mais qu’est-ce qui fait renaître aujourd’hui la cause “classe moyenne” de ses cendres ? Le bon sens aiguisé par la crise dans les pays riches, et le sentiment d’aller dans le mur dans les pays qui s’en sortent à peine, le Maroc y compris.

Quel rapport entre la crise économique qui se mondialise et la classe moyenne ? Prenons le cas des Etats-Unis. Si le nombre d’emprunteurs précaires, appâtés par des crédits bon marché et le rêve de la propriété, n’y était pas si élevé, l’avalanche subprimes n’aurait peut-être jamais pu se déclencher. Si le creusement injuste des écarts entre les classes (sans filets sociaux, ni allocations de ressources prioritaires au logement, à la santé et à l’éducation) n’y avait pas créé des frustrations et des désirs immodérés, la descente aux enfers n’aurait pas été aussi démentielle. Allons à l’autre extrême avec la Chine, qui subit un effet boomerang imprévisible. Il y a dix ans, incapable d’écouler sa surproduction, elle s’est mise à exporter massivement vers le marché des hyper-consommateurs américains. Maintenant que cette machine à consommer est en panne, la Chine pense sérieusement à consolider sa classe moyenne pour créer de la plus-value en interne. Pour nous au Maroc, l’intérêt pour la classe moyenne est double. D’abord, dépasser les disparités improductives d’aujourd’hui et se doter d’une locomotive économique et sociale, voire politique à terme. Ensuite, renforcer le potentiel national de production et de croissance pour que le choix d’ouverture économique tous azimuts ne fragilise pas le pays outre mesure (lire notre dossier).

A chacun sa crise, au fond, et tout semble converger aujourd’hui pour faire de la classe moyenne le sauveur des nations. Ce n’est pas nouveau. Le welfare state s’est construit, au milieu du XXème siècle, sur le même mode de raisonnement. A cette différence près qu’à l’époque, l’Etat providence finançait l’éclosion de la classe moyenne. Aujourd’hui, les Etats ont subi une cure d’amincissement et ne pensent qu’à maintenir la sainte finance en bonne santé, le privé pense moins aux salaires moyens qu’aux dividendes des patrons, et les bailleurs de fonds préfèrent plaider la cause charitable des pauvres, plutôt que celle, impopulaire, des classes moyennes. Autant dire que si le gouvernement marocain veut sérieusement s’y mettre, il devra faire des choix budgétaires douloureux, repenser dans les faits ses priorités - mettre le savoir, la justice et l’investissement créateur de valeur et d’emploi au centre de la société - puis repenser le lien avec cette classe moyenne réelle mais volatile que constitue la diaspora. Sinon, il n’aura même pas de quoi amortir le choc … de crises à venir.

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