Edito 10: nos deux continents noirs, par Driss Ksikes

Nous ne faisons pas une revue qui colle à l’actualité économique, mais qui essaie d’éclairer par la recherche les zones sombres de l’économie que le plein feu médiatique occulte ou n’élucide pas assez.

Le hasard des calendriers fait que, dans ce numéro, cohabitent l’informel et l’Afrique, deux continents que nous habitons à notre insu, sans y prêter trop attention, deux vocables qu’on utilise trop souvent mais dont on ignore les ramifications et les implications, conceptuelles, réelles et supposées. Le hasard des discours et des annonces fait de l’informel et l’Afrique les objets d’injonctions récurrentes. Le projet de loi de finances, en phase de pré-délibération, annonce qu’il «faut s’attaquer à l’informel». Les champions de la finance marocains, relais du discours officiel, ressassent, chiffres probants à l’appui, qu’il «faut investir en Afrique». Derrière ces litaniques «y a qu’à faire», se cache un double souci, provenant de la crise économique de l’Europe : renflouer les caisses de l’Etat en formalisant davantage l’économie domestique et avoir un terrain de repli stratégique au Sud pour ne pas être à la merci de la première secousse du Nord.

Les intentions sont bien nobles, convenons-en. Mais les réalités sont complexes, insuffisamment sondées et, du coup, souvent mal appréhendées. Concernant l’Afrique, nous avons tellement tardé à regarder du côté Sud, que Chinois, Turcs, Indiens, diaspora, et autres inventifs locaux n’ont attendu personne. L’Afrique, c’est comme si nous n’en faisions pas tout à fait partie, comme un territoire lointain dans lequel on part en dernier recours ou parce que le chef le veut bien. Le coeur n’y est pas. Pourquoi on n’y voit pas clair dans cette Afrique au sommet de laquelle le Maroc est perché ? Parce qu’une once de racisme hérité de notre épopée au Soudan nous en empêche ? L’atavisme européen détourne-t-il trop nos regards de ce qu’on croit être «un continent de misère» ? Autant chausser des lunettes qui nous aideraient à voir l’Afrique d’en bas, et cesser de la toiser d’en haut.

Avec l’informel aussi, notre manque d’empathie se double d’un défaut de discernement. De quoi parlons-nous ? Des grosses compagnies, formellement installées, qui ne paient pas leurs impôts ou utilisent des voies détournées pour monopoliser de gros marchés, ou de ces individus, informellement installés, qui héritent de toutes petites miettes du marché ? Toutes les économies, réputées saines, laissent fleurir des informalités qu’elles parviennent rarement à formaliser et ne s’attaquent qu’aux pans susceptibles de mettre en péril des vies ou des sources tarissables de vie. Ce n’est pas pour dire qu’il y a rien à faire. Non, l’informel, il faut aussi savoir faire avec, sans laxisme mais sans illusions non plus. Vous le voyez bien, avec l’Afrique, comme avec l’informel, c’est notre attitude lointaine, euro centriste, formaliste, qui nous empêche d’être lucides et sans a priori.

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